« Nous sommes
fascinés par la victoire, et c’est la défaite au lieu de la mort, que nous
cherchons à éviter » Ernest Hemingway.
Il y a quelques années le talentueux journaliste, Babacar
Touré nous a servi un texte mémorable
sur les frasques du footballeur El Hadji Diouf. Une réflexion très fine sur la
signification profonde des « sénégalaiseries » du footballeur. Ce n’est
pas la personne du joueur qui fut en cause dans ce texte de référence mais ce
qu’elle nous révèle du Sénégal en tant que société humaine. En vérité l’irruption
de certains « people » dans l’espace public, leur posture et les
propos qu’ils tiennent procèdent en réalité d’un discours. Le mot est pris ici
au sens foucaldien. Autrement dit les choses ont une voix qui murmure, les
costumes parlent à travers leur ambigüité, ils sont « bavards » ;
les propos fussent-ils des injures ou des « banalités »sont appelés à
être commentés et même la présence fréquente dans l’espace public ou médiatique et le rôle qu’on
y joue peut bien ressortir au discours. Du haut de notre « raison
empruntée » l’on a bien tord d’ignorer ces différentes modalités du
discours. Les intellectuels manifestent souvent le défaut d’ignorer les faits
subculturels. La pose parfois hautaine leur cache la vérité et même la réalité
des « choses simples ». Attitude bien étonnante puisque ces faits
devraient attirer notre attention par leurs fonctions à la fois esthétique et
politique. A ce propos le lutteur Mouhamed Ndao « Tyson » s’offre à
nous et dans le même temps, révèle un nom qui mérite une analyse et même une
psychanalyse.
Donc la question qui
s’impose d’emblée est : « De
quoi est le nom de Mouhamed Ndao
Tyson ?» Il est peut-être
sous ses airs faussement gentils, ses propos aigres-doux au discours à la « cosmétique religieuse », le nom
de plusieurs maux de la société
Sénégalaise. Un paradoxe ! Comme
bon nombre de ses compatriotes, Mouhamed
Ndao Tyson est atteint du complexe de l’homme qui a dans son subconscient
l’idée qu’il n’est pas à sa place. Ce label mental se révèle à travers ses
colères fréquentes et tempêtes violentes contre « l’intelligentsia »,
« les gens instruits ». On n’est jamais véritablement soi-même que
lorsque l’on est en colère. Nous avons parfois tord de penser que la colère est
un état second. Lorsque l’on est en colère, les choses, les véritables choses
montent à la surface. Le lutteur le plus bavard en vérité n’a pas comme ses
jeunes frères une rhétorique guerrière comme il sied à un champion, aucune
volonté de puissance et une envie de « meurtre »indispensable à tout
sport de combat. Un homme en vérité qui
déprécie sa profession et sa propre personne, un homme qui inconsciemment pense
qu’il aurait du être dans la peau d’un autre. Tout cela explique sa rhétorique
commerciale sur la lutte. La lutte comme art guerrier ne l’intéresse plus
depuis longtemps. Il a la tête ailleurs ! Dire à nous rebattre les oreilles, crier partout et à tue-tête que
la lutte c’est du « business » est une rengaine impuissante, un
discours qui tente vainement de dénier à la lutte ses indispensables attributs
archaïques et virils. Mouhamed Ndao
« Tyson »tente en vain depuis des années d’émasculer la lutte à
travers ses discours lénifiants contre ses collègues lutteurs. Il est incapable
de cracher le feu sur ses adversaires. Ses
vaines colères sont adressées à des
adversaires imaginaires : ceux qui,
pense-t-il à tord, monopolisent l’intelligence, les professionnels des idées.
L’anti-intellectualisme a la peau dure, elle peut même sortir de la bouche d’un
lutteur ; l’anti-intellectualisme est l’un des discours les plus violents
et dangereux. Tout le monde l’a entendu dire de façon véhémente et arrogante
qu’ « en dehors de quelques intellectuels et faiseurs de malin tout
le monde adhère à la lutte ; la lutte est entrée dans toutes les familles
du Sénégal.» Si quelques petits malins
et intellectuels inutiles ne peuvent pas faire ombrage à la lutte pourquoi donc
tant d’invectives et même des insanités adressées jusqu’aux institutions
éducatives ? « L’université ne fabrique que des
chômeurs »dit-il. Phrase inintelligente et fausse qui nous rappelle ces
propos que l’on entend souvent : « Tous les africains sont
pauvres », « L’Afrique pèse trois pour cent du commerce
mondiale », « il ya trop de littéraires dans ce pays », « la
plupart des hommes mariés ont des maitresses ». S’il avait fait des études
comme il semble l’insinuer il ne tomberait pas dans cette vulgaire réification
qu’un petit étudiant de première année de sociologie ne ferait pas. S’il avait
des notions de psychologie collective, il aurait su que les sénégalais entretiennent une relation d’attraction-répulsion avec
le monde de la lutte que des simples d’esprit qualifient d’hypocrite alors
qu’il n’en est rien. Ce n’est que le phénomène du paradoxe. Les sénégalais aiment et détestent la lutte à la fois. En
témoignent les critiques violentes et fréquentes sous ouverts de références,
pas seulement religieuses, contre la lutte à coté des scènes d’hystérie
collective à la fin des combats. La lutte est restée à sa place malgré son
succès. C’est ce qui met en rogne Mouhamed Ndao Tyson. A ce propos le lutteur est juste et perspicace !
Au Sénégal la lutte règne mais elle ne « gouverne
pas ». C’est « une domination sans hégémonie » pour reprendre
l’expression du philosophe Indien Ranajit Guha. Que veut-on de plus ?
Il n’ya pas très longtemps on l’a entendu déclarer qu’un lutteur est plus utile
qu’un « Bac+4 ». Il n’ya eu aucune réplique ! Sauf les
nombreuses et humiliantes raclées qu’il a subies depuis lors. Tyson est un champion qui ne gagne pas. Il
n’est pas le seul au Sénégal. Il y a ici des savants qui n’ont rien
découvert, des politiciens apparemment cultivés mais qui n’ont rien lu, des
cinéastes officiels qui n’ont plus tourné depuis trente ans, des religieux incultes,
des musiciens populaires mais qui chantent faux, des écrivains illettrés et tout
juste alphabétisés, des étudiants et des journalistes qui n’ont pas le niveau
de langue d’un bon élève de CM2 à l’époque du CLAD. Le Sénégal c’est cela aussi.
Depuis combien d’années ce lutteur venu du Saloum et qui
revendique une certaine « pikinité » comme si Kaolack n’était pas une
ville nourrit aussi ce complexe
d’infériorité qui pousse beaucoup de Sénégalais à brouiller leur filiation
originaire par cette formule angliciste impropre, « come on Town »
comme si la ville ou ce que l’on croit être une ville est le lieu de la seconde
naissance, de la bien-naissance. A ce propos le jeune philosophe Babacar Diop a
eu raison d’écrire dans son ouvrage autobiographique, Le feu sacré de la
liberté :« Je suis un
métis de sang et de culture(…) j’ai grandi entre la tradition et la modernité.
J’ai grandi sous l’influence de cultures différentes. J’ai vécu entre la
campagne et la ville(…) Je suis un homme de ma génération. Notre époque est celle
du métissage.» Il ne saurait y avoir de hiérarchie filiale entre
l’appartenance au Saloum et la vie à Dakar. Lorsque les Sénégalais invoquent
leur origine campagnarde, ils le font de façon désinvolte et
« politique ». Une manière de se donner une bonne conscience et
proclamer dans le même temps une authenticité, qui dans leur fantasme de la
pureté des origines, est forcément liée aux villages. Or la ville est l’un des hauts
lieux de fabrication de la culture. Des observateurs les plus fins peinent même
à comprendre ce cosmopolitisme global,
dont parle le puissant critique littéraire indien Homi K. Bhabha dans un livre formidable : LES LIEUX DE LA CULTURE, UNE THEORIE POSTCOLONIALE : « Ce
type de cosmopolitisme global ne manque jamais de célébrer un monde de cultures
plurielles et de peuples situées à la périphérie, tant qu’ils produisent de
confortables marges de profit des sociétés métropolitaines ». Aucune
discussion sérieuse ne peut se faire aujourd’hui autour de la tradition et de
la culture sans Homi K. Bhabha, Paul Gilroy, Achille Mbembe et Souleymane
Bachir Diagne. Avis à tous ceux qui n’aiment pas les savants !
La culture
et même la tradition n’est pas toujours ce que l’on pense. Elles ne sont pas
l’énoncé d’une authenticité fixe et immuable. Ceci n’est pas une digression, la
lutte étant une pratique gymnique qui est organiquement liée à la culture et
aux traditions ancestrales. Nous avons écrit dans, L’insoutenable
omniprésence de la lutte au Sénégal, la chose suivante : « En Afrique traditionnelle, les lutteurs sont les
héritiers naturels des grands guerriers de l’époque Ceddo. Le lutteur en vérité
est un chevalier sans cap ni épée. Mais il lui reste le feu sacré du combat. Le
champ de bataille n’est plus « Ngol-Ngol, Guilé ou Somb » (lieux de
batailles historiques sur le territoire sénégalais à l’époque Ceddo), mais
l’arène où le gladiateur regarde la mort en face pour défendre son honneur. Ce
n’est pas tant la victoire qu’il cherche mais c’est le déshonneur et l’opprobre
qu’il évite. » Tout le sens de la citation de Hemingway se trouve ici
commenté, puisque les lutteurs d’aujourd’hui ne mettent plus en jeu leur peau.
La seule règle du jeu procède de la popularité et de l’argent. Une logique
« mercantile » qui nous interdit de réfléchir sur l’origine licite ou
non de l’argent de la lutte et comment les montages financiers sont faits.
Du reste les origines de la lutte
sont controversées malgré le semblant de conformisme autour de la question. Seydou Nourou Ndiaye, le directeur de
la maison d’éditions Papyrus, grand défenseur de l’édition en langue nationale,
qui a édité « Doomi Golo » de Boubacar Boris Diop affirme, quant à
lui, que cette forme de lutte telle
qu’elle est pratiquée aujourd’hui est une création coloniale. Le premier
promoteur fut un européen qui a organisé un combat de lutte qui a failli
tourner au drame, le combat se déroulant en haut d’un immeuble. C’est une piste
intéressante à explorer et documenter au
moment où l’on dit que la lutte est un facteur de développement ; une
assertion qui ne mérite aucun commentaire tant la grossièreté du propos n’a
d’égal que la goujaterie de ceux qui le disent.
Les sportifs les plus riches du monde n’ont pas
l’argent à la bouche, ils évitent d’en parler, essayant même d’aller au-delà
des choses en s’adonnant à des activités caritatives. Ce n’est pas le cas de
« Tyson » qui en parle tout le temps comme s’il était un américain.
Encore que tous les américains ne sont pas « américains », tous les
américains ne sont pas des « yankees ». Un New-yorkais n’a rien à
voir avec un habitant du Vermont. L’Amérique est un pays-continent. Il ya
beaucoup de fantasmes et de clichés sur le pays de l’oncle Sam. « Mouhamed
Ndao » pense comme beaucoup de jeunes Sénégalais qu’il faut se dire
américain, « Cana » ou s’appeler Tyson pour être moderne et
pragmatique. Un problème d’identité !
Toutefois, Mouhamed Ndao « Tyson »restera un
personnage singulier et intéressant du point de vue de la modernité africaine.
Il a symbolisé cette tentative de créer une génération différente mais qui, au
fil du temps, s’est révélé comme un épiphénomène dépassé par le cours rapide de
l’histoire parce qu’il n’avait pas de contenu. Tout est dans l’énoncé,
c'est-à-dire le message lui-même. La génération
« Bul Faalé » comme « la génération du concret » ont tous
les deux une maladie congénitale : La faiblesse de l’énoncé. Penser que le
Bien est seulement dans le concret ou le « Bul Faalé », c’est exclure
l’Abstrait et l’Esprit qui ne cesseront de gouverner ce monde. Bien malin qui
peut échapper à la grammaire et à la littérature !
Khalifa Touré
776151166/709341367
Bien dit Mr Touré,
RépondreSupprimerC'est un secret de polichinelle, Tyson est un complexé tout comme beaucoup de nos lutteurs. N'est pas grand intellectuel qui veut. Cela demande l'usage des neurones et pas seulement les muscles.
Rien qu'à voir son nom de scène, on comprend bien.