La république islamique d’Iran vient
d’élire un nouveau président en la personne de Hassan Rohani, un religieux
proche du courant réformateur ; ce courant politique qui, contrairement à
l’avis de certains analystes, est partie intégrante et même consubstantielle à
la « révolution religieuse » qui a éclaté en 1979. Mais un courant
hétéroclite où se mêlent et s’entremêlent des religieux partisans de
l’ouverture, des libéraux qui prônent un modèle de société ouverte, des
intellectuels « laïcs », une grande majorité de la jeunesse
iranienne, des universitaires et des artistes qui soit prônent la sortie de la
révolution religieuse ou bien une réforme interne du système hérité de la
révolution de 1979.
Aujourd’hui,
la grande majorité des iraniens prône « le changement » ; un
changement qui ne signifie pas forcément
la remise en cause des fondements islamiques de l’Etat en Iran. Ce qui est en
cause c’est la toute puissance du clergé des Ayatollâh, qui détient les grands pouvoirs régaliens de la
République Islamique. Une mainmise comprise comme une « dictature »
par une grande majorité de jeunes qui ne partagent pas forcément les fondements
de la révolution : la majorité de la population iranienne composée
essentiellement de jeunes et de femmes est née après 1979.
Ces jeunes adultes ne connaissent pas Khomeiny
et son charisme légendaire, ils n’ont pas lu l’immense théoricien Ali Chari’ati, ni les autres figures
emblématiques comme les grands Ayatollah
Moussavi Ardébili, Aboul Qasim khou’i, Saïd
Muhamed Tabataba’i, Sadeq Khalkhali ou le célèbre dissident
l’Âyatollâh Hossein Ali Akbar Montazéri.
Ces noms ne
leur disent rien, leur évocation ne peut en rien faire vibrer en eux la fibre
religieuse ou révolutionnaire qui a déferlé en 1979 sur l’Iran et qui a
balayé les Pahlavi une dynastie
vieille de plus d’un demi siècle.
La révolution iranienne a ceci de
paradoxal d’avoir réveillé, éveillé et éduqué
une population qui a finit par lui en demander plus. En effet après 1979, il y eut en
Iran, un grand mouvement des populations rurales vers les villes, un formidable
phénomène d’urbanisation sans précédent dans l’histoire moderne en plus d’un
accroissement peu commun du taux d’alphabétisation. Déjà à l’époque du très
volontariste Mossadegh l’Iran était
devenu un pays moderne, nationaliste et soucieux de son progrès économique. Ces
populations aujourd’hui très urbanisées, et très cultivées, qui ont beaucoup
« lu et regardé tous les films du monde » ne peuvent plus être
« trompés ».
Contrairement
à l’image répandue, la société iranienne est très moderne, dynamique, ouverte
et aspire à l’air. Elle veut respirer comme toute société humaine qui sent une
chape de plomb sur elle. Aujourd’hui, le modèle politique de l’Iran fonctionne
à deux vitesses : un clergé
tourné vers le passé et oubliant même qu’il a fallu un esprit d’ouverture, un
génial exercice d’« Ijtihad »(1)
des grands théoriciens pour forger ce qu’ils ont appelé la « Wilayat Al Faqih »(2)
permettant en 1979 de faire sortir
les chiites iraniens de leur torpeur et leur fatalisme séculaire et une société ouverte aspirant au
changement, à la réforme et qui n’a pas forcément pour préoccupation principale
la question nucléaire.
Les réformateurs iraniens ont ceci de
particulier qu’ils ne sont pas forcément des pro-occidentaux. La facilité veut aujourd’hui que
tout aspirant au changement soit ipso-facto un suppôt de l’occident comme si l’occident
est le maitre absolu et éternel de la liberté. On oublie souvent que ceux qui
sont appelés abusivement modérés sont des acteurs à part entière de la
révolution islamique, il s’agit entre autres de Moussavi et de Rohani qui
vient d’être élu. Si l’élection de Hassan
Rohani est une diversion, comme le pensent certains, afin de déférer une
seconde révolution inévitable il ya à croire que la politique comme l’histoire
est une science obscure.
En tout état
de cause Rohani devra avoir le
courage de démissionner si les grandes aspirations à la réforme ne sont pas
autorisées par le haut clergé avec à sa tête l’Âyatollâh Ali Khamenei. Il y va de
la survit de la révolution iranienne. S’il
ne franchit pas cette étape il connaitra le sort de Ali Khatami, présenté comme réformateur à l’époque mais qui n’a pas
pu arracher grand-chose au haut clergé. Certains milieux considèrent même qu’il
a « trahit » la cause des réformateurs.
Comment peut-on expliquer
qu’un grand pays comme l’Iran, adossé à une civilisation de l’écriture plusieurs
fois millénaire peut se contenter d’une «rhétorique guerrière» en lieu et
place d’une subtile diplomatie ? A écouter Ahmadinejat, on dirait qu’en Iran il n’ya pas de stades, de
bibliothèques, de salles de cinéma ? Ce pays a parmi les meilleurs cinéastes
au monde (Abbas Kiarostami palmé à
Cannes, Asghar Farhadi, Samira Mahbalbaf, Rakhshan Bani-Etemad), les
intellectuels les plus brillants (Farhad Khosrokhovar, Abdoul Karim Soroush).
Le pays de Mossadegh, un homme d’une rare culture et celui de Ali Shariati, un philosophe pas très
loin de Bergson et de Iqbal, n’a pas le droit d’emprisonner
des cinéastes et des écrivains : le cinéaste Djahfar Panahi n’a pas sa place en prison.
L’Etat
iranien devrait davantage s’occuper des innommables problèmes sociaux et de cette lame de fond qui sourd dans la
société et qui n’aspire qu’au mieux être. Sinon elle risque d’être balayée
comme la dynastie des Pahlavi. Malgré toutes ses « réalisations » le
régime Iranien ne pourra se dérober face à cette fameuse question :
Que faire
face à la vague déferlante de la
sécularisation ? Tel est le défi majeur auquel sont confrontés tous
les religieux de notre temps.
776151166/709341367
(1) Ijtihad est un
concept du droit musulman qui autorise l’effort d’interprétation des textes
scripturaires pour donner des réponses contemporaines à des questions qui dont
la solution n’est pas explicite.
(2) Wilayat Al faqih, concept du droit musulman concernant le chiisme imamite aujourd’hui
contesté. Il signifie « le gouvernement du jurisconsulte ». Il a
permis a un moment donné de libérer les chiites par l’interprétation ouverte
des sources.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire