C’est devenu
un secret de polichinelle qu’au Sénégal pouvoir, politique et sorcellerie ou «
maraboutage » sont des pratiques « intimement » liées. La consultation des
devins, des voyants ou autres « clairvoyants » sensés pouvoir interroger les
esprits de la nuit pour agir en « modifiant » la trajectoire du destin sont des
œuvres devenues courantes et banales pour les hommes de pouvoir en général et
les politiciens en particulier.
Un homme politique sénégalais et pas des moindres, affirmait sans ambages
que ses marabouts sont plus puissants que ceux de ses homologues africains. Un
autre parmi ses farouches opposants a effectué il y a quelques années un voyage
« initiatique » en traversant la boucle
magique de l’Afrique de l’ouest : La
Gambie, la Guinée-Bissau, La guinée, le Mali, le Bénin pour revenir au
Sénégal. Personne ne s’est interrogé sur ce voyage qui n’avait aucun enjeu
politique. Dans la mairie d’une ville près de Dakar, à la suite de travaux de
réfection, trois corps ont été découverts, ensevelis et couverts de linceul
noir en direction du coucher du soleil. Tout portait à croire que c’était un
meurtre sacrificiel et rituel lié à la politique compte tenu du modus operandi
utilisé dont le symbolisme renvoie à des références blasphématoires.
L’affaire resta sans suite judiciaire encore moins médiatique. Un fait
paradoxale dans un pays où l’Islam et le Christianisme, deux religions qui
condamnent les pratiques occultes ou magiques, occupent le haut du pavé social
et sont les principaux déterminants qui structurent l’imaginaire social. Mais le fait social est que ces religions dans
leur version tropicale tolèrent une certaine forme de pratique occulte sous
couvert de magie blanche (une dénomination qui opère comme une forme de
blanchiment de conscience). Sous des dehors de modernité, le Sénégal
politique vit toujours à l’ère de la pensée magique, des superstitions, des
croyances aux bons ou mauvais augures. Les hommes de pouvoir surtout les
politiques ont du mal à quitter le monde du bois sacré.
D’un point de vue historique la
permanence de la cosmogonie africaine traditionnelle dans sa face politique est
d’une évidence éclatante au Sénégal. Le pouvoir c’est du « Nguur », concept de jouissance qui autorise la convocation et même
l’invocation d’entités surhumaines en dehors bien entendu du monde de la
raison, du visible, de la transparence. Une interrogation sur ces différentes
pratiques qui sont loin d’être marginales est d’un intérêt sociologique et
politique certain. Elle peut surtout nous renseigner sur l’état de notre
société et sur l’usage déficitaire de la
raison dans le monde politique africain. C’est comme qui dirait, nos hommes
politiques n’ont pas confiance à la raison, à la force de persuasion et la
pertinence d’un programme.
Ces pratiques sont surtout caractéristiques des sociétés sans écriture. L’écriture est porteuse de raison. Elle offre à un peuple une grande faculté à élaborer et systématiser les pratiques discursives pour en faire des référents culturels porteurs de progrès. En Afrique il existe bel et bien des pratiques discursives. Mais pourquoi elles ne sont pas suffisamment convoquées ? Ceux qui possèdent l’écriture sont eux-mêmes pleins de préjugés et de superstitions. Comment peuvent-ils créer une communauté intellectuelle d’avant-garde pour attaquer littéralement ces mêmes préjugés qui enchainent nos sociétés et l’empêchent de décoller. Dans nos pays on peut trouver même des universitaires, des chefs d’entreprise, des journalistes qui laissent apparaitre par mégarde un gris-gris attaché autour de la ceinture au nom de la formule « l’Afrique a ses réalités » ; comme si l’Europe, l’Amérique et l’Asie n’avait pas leurs réalités.
Mais attention l’Afrique n’a pas le monopole de la pensée magique. La seule
différence réside dans le fait que d’autres peuples ont dépassé cette étape même
s’il reste des survivances réussi à conserver et couler intelligemment dans
l’architecture. Pour jauger le niveau de sorcellerie et la profondeur de la
pensée magique dans la société Sénégalaise il n’y a qu’à remarquer la confusion
qui est faite entre les offrandes et
les œuvres de charité. C’est le même
mot « Sarax » qui désigne en ouolof
usuel, offrande et charité. Or les offrandes sont des œuvres sacrificielles qui
procèdent de la magie et de la sorcellerie. Elles sont destinées à rendre
propice un projet de vie. Les offrandes sont une prière adressée aux esprits.
Quant à la charité elle a un fondement religieux et désintéressé (religieux au
sens de religion révélée).
L’on se souvient de cette cocasse histoire d’ânes qui arriva avec un ministre de la république qui dans l’exercice de ses fonctions de ministre de l’environnement avait proposé aux communautés rurales de leur offrir un nombre précis d’ânes pour le ramassage des ordures. Les mauvaises langues, qui ne sont pas si mauvaises que ça, avaient conclu à une offrande à cause du nombre d’ânes qui renvoie à un chiffre magique et l’impertinence d’une telle idée.
Rien à dire sur cette voyante au passé trouble, une vraie star au Sénégal et qui doit
son succès aux prédictions qu’elle fait sur l’issue des combats de lutte. Mais
le comble a été la panique qu’elle a créée à l’Université Cheikh Anta Diop de
Dakar lorsque les étudiants ont cru entendre la voyante prédire un crash
d’avion dans l’enceinte de l’université, temple du savoir, dont la devise est
« LUX MEA LEX » (la lumière est mon guide).
D’un point de vue de la morale démocratique les pratiques occultes heurtent la conscience puisque les hommes sensés être les animateurs du jeu démocratique doivent être des personnes raisonnables. L’espace public où se meut l’idée démocratique est le lieu par excellence du déploiement la raison. Or la magie et autres pratiques similaires fonctionnent à la violence, à la manipulation et à la peur.
Aucun projet démocratique ne peut se réaliser dans
cette atmosphère. Avec la sorcellerie les hommes politiques deviennent de faux
démocrates en costume cravate mais harnachés de gris-gris comme les lutteurs.
Nos hommes de pouvoir, pas seulement les politiques, sont des sorciers endimanchés. Ils avancent
masqués. C’est incompréhensible en démocratie. Le danger est que nous sommes en
face d’hommes et de femmes qui détiennent le pouvoir politique destiné à gérer
les affaires de la cité, mais des hommes entièrement irresponsables.
Autrement dit des hommes de pouvoir capables de mettre en veilleuse leur
raison. Alors toutes les folies imaginables sont permises : Folie sexuelle,
folie financière, folie des grandeurs et folie mystique. Une « économie
politique » de la sorcellerie et des œuvres magiques serait d’un intérêt
scientifique certain à l’image de l'historien Camerounais Achille Mbembe
qui a proposé une économie politique du sexe dans les pouvoirs politiques
africains. La sorcellerie, les rites sacrificiels, les pratiques magiques et
occultes seraient un moyen rapide et durable de prendre possession du pouvoir
au Sénégal comme ailleurs. La
sorcellerie apparait comme l'une des modalités d'énonciation du pouvoir politique au Sénégal. D’où l’intérêt d’une analyse scientifique
d’un tel phénomène.
La sorcellerie est l’une des modalités de la connaissance du monde
politique Africain. Les rituels d’intronisation des souverains africains qui
avaient une double fonction magique et de légitimation du pouvoir politique ont
survécu dans le monde moderne en gardant toute leur philosophie.
Aujourd’hui
dès que l’on est nommé à un poste de responsabilité gouvernementale ou étatique
la première chose à faire c’est d’aller recueillir soit disant les bénédictions
de son marabout histoire de bénéficier d’un parapluie mystique et d’une
protection politique en cas de problèmes. Mais le plus grave et le plus
intéressant c’est la gratitude exprimée à l’égard des parents surtout de la
mère pour une fonction qui relève du sacerdoce et du service public. Les origines du népotisme sont inscrites
dans cette croyance superstitieuse qu’une femme qui a trimé comme une esclave
dans son ménage récolte toujours un enfant béni. Tout revient donc à la mère
donc à la famille : frères, sœurs, oncles, tantes etc. qui vous conduisent chez
le grand manitou du coin, sorcier de son état.
C’est ainsi que le politicien confiant de son immunité mystique conférée
par le sorcier, le marabout et les bénédictions de la famille entame une grande
carrière de prédateur social. Tout va passer sous le rouleau compresseur de
l’impunité (femmes, argent, véhicules, villas) jusqu’à ce que qu’un décret
présidentiel plus sorcier viennent mettre fin à la carrière très mystique du ministre-illettré.
Par ailleurs la sorcellerie en politique africaine est liée à la mort, symboliquement parlant. La sorcellerie est l’une des pratiques qui fondent la nécro-politique en Afrique. Dans nos pays le pouvoir politique est synonyme de capacité de donner la mort, de tuer physiquement ou symboliquement. Il n’est pas rare d’entendre un politicien menacer son adversaire de « liquidation ». Au Sénégal on est loin des pays où les sacrifices humains font partie de la politique gouvernementale. Mais attention chaque pays africain possède sa propre échelle de magie et de sorcellerie.
KHALIFA TOURE
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire