vendredi 20 janvier 2017

CINÉMA, LITTÉRATURE ET GUERRES DANS LE MONDE(1)








«Des millions d’hommes commirent les uns à l’égard des autres un nombre si infini de forfaits, de duperies, de trahisons, de vols, de fraudes et d’émission de faux assignats, de pillages, d’incendies et de meurtres que les archives de tous les tribunaux du monde ne pourraient en réunir autant d’exemples en des siècles entiers, mais qu’au cours de cette période ceux qui s’en rendirent coupables ne considéraient pas comme crime… »

Tels ont été les mots justes du comte Léon Tolstoï en ouverture à la première partie du Livre 3 de son monumental « Guerre et paix », la plus grande œuvre littéraire sur la guerre depuis Thucydide. Mais « La guerre du Péloponnèse » de Thucydide  est surtout une œuvre historique. À l’encontre d’Homère, Thucydide est un narrateur de la raison, il est sans nul doute l’inventeur de la raison historique. Si l’histoire n’était faite que de légendes, de mythes et de récits épiques il serait possible de démêler la raison historique des embellissements, des écarts et des anachronismes. Mais quand les affabulations s’en mêlent, il est difficile d’étendre la matière historique qui, en vérité, n’est qu’un tissu fait de milliers de lignes qui s’entrecroisent. Voilà la mission historique que Thucydide le soldat et homme politique grec s’est assigné il ya plusieurs millénaires. Ils sont encore très loin de nous dans le temps, mais la guerre n’a pas beaucoup évolué en stratégies et tactiques. « La guerre du Péloponnèse » est aujourd’hui une référence dans les écoles de guerre mais il est surtout un livre politique, une référence indiscutable en sciences politiques.

 « Guerre et paix » un livre formidable au sens premier du mot c’est-à-dire effrayant, l’un des monuments élevés pour l’humanité, un fourmillement continu de personnage à s’y perdre, un livre délicieusement assommant avec ses deux mille pages, une œuvre démiurgique qui a voulu contenir le monde même dans toute son entièreté mais surtout une longue description, une narration discontinue, des scènes horribles et effroyables sur la guerre, cette « activité contraire à la raison et à toute la nature humaine ». Pourquoi les hommes vont à la guerre ? Pour montrer qu’ils sont des hommes ? Personne ne sait ! Si l’on en croit Léon Tolstoï, toutes les explications possibles sont évoquées par-ci et par-là, retournées dans tous les sens jusqu’aux vulgaires considérations géopolitiques. « La géopolitique », la panacée explicative d’aujourd’hui, l’ultime formule chimique, le fin du fin de la cogitation philosophique, le mot qu’il faut sortir de la bouche pour faire intellectuel oubliant «  Tout ce  que je sais c’est que je ne sais rien » du plus  ignorant des doctes parmi les grecs. Ni la cupidité politique de Napoléon, ni l’irrédentisme oriental du chevalier Alexandre ne seraient à l’origine exclusive d’une quelconque guerre. L’assassinat d’un quelconque Archiduc François Ferdinand n’est à l’origine d’une guerre. Même si des hommes quelconques, un nombre incalculable de faits insignifiants combinés peuvent être à l’origine d’une conflagration. Difficile de remonter le fil d’Ariane, démêler l’écheveau explicatif d’une activité monstrueuse en elle-même. On n’y comprend pas grand chose. Mais cela n’est pas une excuse. « Guerre et Paix »est un long poème de vie et de mort.  Mais qui écrira le livre de la mort en Syrie ?

Allez voir l’excellent « Patton » du cinéaste américain Franklin J. Schaffner  vous aurez une image particulièrement intéressante de ce qu’est la guerre d’un point de vue personnel. Patton interprété par un hallucinant George Scott est l’un des meilleurs « films de guerre », nous en avons repéré dix : « Patton »le plus classique, le plus académique mais aussi le plus intime à travers le fantasque général américain George Patton, La ligne rouge « le meilleur de guerre », le plus poétique, le plus mystique, le plus profond, un film d’une amplitude incommensurable, d’un magnétisme étrange à travers cette fameuse voix off propre à Térence Malick, la palme d’or 1979 « Apocalypse Now » de Francis Ford Coppola le meilleur film sur la guerre du Vietnam s’il n’y avait pas  à côté l’irrévérencieux et l’antimilitariste «  Full metal Jacket » Stanley Kubrick l’un des rares cinéastes admirés par Orson Welles le plus grand cinéaste américain de tous les temps ( J’ai pas trop aimé « Platoon » d’Oliver Stone, un « bon » film quand même), « Fury » de David Ayer ,le plus récent (2014), l’un des plus visuels avec une formidable photographie de Roman Vasyanov( je ne comprends pas comment ce film est passé inaperçu),« Sauver le Soldat Rayan » où Steven Spielberg s’est permis des scènes et situations d’un tragique Shakespearien (la scène théâtrale où la petite fille en pleurs tape sur les joues de son père qui voulait la sauver en l’offrant aux soldats américain peut être commenté pendant des heures),« Les égarés » d’André Téchiné le plus décalé des films de guerre où l’on entend la guerre plus qu’on ne la voit ;  on la voit par moments sur les visages éplorés qui fuient l’horreur,  « Das boot » de Wolfgang Patterson le chef-d’œuvre du huis clos guerrier, le film de guerre le plus glacial, le très militant « Indigènes »  de l’Algérien Rachid Bouchareb un film à personnages, « Hero » du chinois Zhang Yimou un chef-d’œuvre d’écriture et même de calligraphie cinématographique. La guerre a inspiré les grands artistes du cinéma, les écrivains les plus sensibles. 

Plus tard viendront « Adieu aux armes » et « Pour qui sonne le glas »  d’Ernest Hemingway, « Le cul de judas » du portugais Antonio Lobo Antunes  et  « Voyage au bout de la nuit » de Céline.

Khalifa Touré

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