« Il n’ya point de
génie sans un grain de folie !» Aristote selon Sénèque
Ce n’est pas la folie
en guenilles qui parle, ce n’est la folie risible qui provoque l’hilarité d’une
foule passante plus folle que tous les fous, ce n’est pas la folie ridicule du
pseudo-artiste faisant le fou devant la populace crédule, ce n’est pas la
revendication de la folie des trafiquants de personnalité qui écument nos malheureux
jours…
Il s’agit plutôt des fous furieux de la littérature, ces
penseurs qui se sont trituré les méninges jusqu’à…la folie. Parmi eux se présente
à nous Virginia Woolf l’anglaise,
qui a inventé et créé même une forme d’écriture aujourd’hui synonyme de
modernité et de noble rébellion, en tout cas une grande maîtresse
de la littérature. Elle a introduit une puissante légèreté en
littérature avant Gide qui a voulu tracer une dialectique descendante pour une
littérature trop aérienne, trop bourgeoise en nous offrant ses fameuses « Nourritures
terrestres. » L’auteure de « La promenade au phare » et
« Mrs Dalloway » est aussi importante que William Faulkner et James
Joyce même si elle n’est pas de la même étoffe. Elle appartient à la confrérie
des maîtres de
« l’écriture moderne », rien à voir avec le nouveau roman. Mais elle
était malade la dame au visage mélancolique, aux pensées sombres, follement
amoureuse d’un homme qui l’aimait à la folie et la soutenait dans la folie qui
guettait un esprit qui fuyait la folie. Un
rôle magnifiquement interprété, néanmoins édulcoré par une hallucinante Nicole
Kidman dans « The Hours » de Stephen Daldry, le biopic consacré à
l’auteure en 2001. Virginia Woolf n’était pas folle comme Camille Claudel
l’autre génie de la Sculpture trente années internée en asile psychiatrique, la
géniale sœur de Paul Claudel, qui a vécu avec le maître August Rodin. « Je ne serai plus
psychiatre » a écrit Gérard Hof tellement l’internement est une prison, une permanente torture depuis Michel Foucault
et « Vol au dessus d’un nid de Coucou » de Milos Forman, depuis
toujours alors. Le 28 mars 1941 Virginia Woolf finira « tranquillement »
dans les eaux de la Ouse, lestée par ses propres pierres, cherchant la
délivrance finale dans le mouillement. Est-ce le dernier acte d’écriture d’une
femme gravement souffrante qui a cherché la source d’inspiration finale dans la
matière liquide parmi les éléments ?
Avant de partir elle a écrit ceci en
l’intention de son mari : « J'ai
la certitude que je vais devenir folle : je sens que nous ne pourrons pas
supporter encore une de ces périodes terribles. Je sens que je ne m'en
remettrai pas cette fois-ci. Je commence à entendre des voix et ne peux pas me
concentrer. Alors je fais ce qui semble être la meilleure chose à faire. Tu
m'as donné le plus grand bonheur possible... Je ne peux plus lutter, je sais
que je gâche ta vie, que sans moi tu pourrais travailler. [...] »
Comme Virginia Woolf, Ernest Hemingway s’est
donné la mort. Figure emblématique de la
lost generation, cet homme a lutté éperdument contre la folie( la dépression
n’est pas la démence). Dépressifs de pères en fils, le père d’Hemingway
est le seul à ne pas s’être donné la mort depuis des générations. Aujourd’hui
la fille d’Hemingway lutte contre une dépression nerveuse. Malédiction, mal
« héréditaire » où fêlure d’un écrivain de génie, Hemingway est
l’écrivain le plus populaire de la lost generation, moins
« hermétique » que son collègue William Faulkner, il aura donné ses
lettres de noblesse à une écriture éminemment narrative et néanmoins poétique
dans ses images fantastiques puisées d’un réel proche et certain. La scène de
l’enfant qui traverse les rails et qui certainement va se faire écraser est une
anthologie. Le narrateur doit-il fermer les yeux face à la survenue « prochaine »
d’un acte horrible ? Telle est la question dans « Mort un après-midi ».
Ernest Hemingway est le philosophe de l’échec dans la victoire : « Nous sommes fascinés par la victoire, et c’est la défaite au lieu de
la mort que nous cherchons à éviter » (p.39, ed. Gallimard 1938).
Alors arriva le plus fou parmi
les furieux, Antonin Arthaud dont l’œuvre, la vie, la tête, le visage,
l’expression et même les documents sonores peuvent rendre fou un amateur atteint
de dépression nerveuse. Son œuvre peut réveiller la folie en latence. Antonin
Artaud a construit une œuvre en osmose même avec son corps et son esprit. Une
sincérité radicale qui l’a rendu fou. L’homme n’était pas un faux-fuyant de
l’art, de la philosophie et de la morale comme ces personnages sans envergure
de Françoise Sagan dans « Les faux-fuyants ». Théoricien du théâtre, génial auteur du
« Théâtre et son double », acteur , écrivain , essayiste, dessinateur et poète francais, il est l’inventeur du
théâtre de la cruauté qui vient entre autres sources des douleurs qu’il a subi
toute sa vie. Sauf chez le philosophe
marxiste Louis Althusser qui a étranglé sa femme, la folie a pris des allures
narratives dans la vie de certains grands écrivains. Quand on devient fou, il
ne reste qu’une chose : mourir. La folie est la pire des
souffrances !
Khalifa Touré
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