jeudi 5 mars 2015

Abdoulaye Wade, Macky Sall et les « mangeurs d’âmes »






« Chez moi ne subsiste plus que le rejet empirique d’une société en pleine putréfaction. Je n’aime pas l’asphyxie qui ne tue pas » Ibrahima Sall, Les routiers de chimères.

Abdoulaye Wade, ex-président de la république du Sénégal âgé de 89 ans , docteur d’Etat en droit public, avocat et professeur agrégé de sciences économiques, auteur du livre « Un destin pour l’Afrique », marié à une femme occidentale «  Sénégalaise d’ethnie toubab », a traité Macky Sall de « deumm », autrement dit Macky Sall descend d’une famille de « mangeurs d’âme » comme on dit en Afrique forestière puisque le mot est difficilement traduisible. Il l’a dit à l’indicatif et non au conditionnel, tenez-vous ! Il est sûr de son sujet comme d’habitude. Les Bambanas  disent « Guingii » ou « Soubakha » qui a aussi le sens de voyant, les ouolofs « deumm ». Ici au Sénégal on a l’habitude de traduire par sorcier ou anthropophage, deux traductions qui restent incomplètes, parce que dans certaines croyances, le Guingii, deumm ou soubakha est tout cela à la fois : Du  sorcier il a les attributs de voyant et jeteur de sorts, de l’anthropophage il a le pouvoir de se nourrir de chair humaine à distance et du mangeur d’âmes  il s’empare de votre esprit. Il ya déjà un problème ici quand on sait que l’âme est immortelle, selon la  tradition islamique. Avis à Abdoulaye Wade qui se dit grand croyant musulman et sûr d’entrer au Paradis. Il devrait lire (modeste recommandation) « Le livre de l’âme », de l’éminentissime Ibn Qaym Al Djawziya du 14ème siècle, l’un des rares à oser affronter la question de l’âme. Il a abordé le sujet sous l’angle de la tradition scripturaire mais aussi de la science gnostique.

Un grand guide religieux très écouté dans ce pays a dit il n’ya pas longtemps que « Celui qui croit au deumm ira en enfer ». Si cela est juste, beaucoup iront en enfer pour ce fait, sauf Abdoulaye Wade puisque lui-même n’y croit pas ; mais il a la malignité de savoir que beaucoup de sénégalais y croient. Il y entrera peut être pour d’autres causes (personne ne lui souhaite cette demeure de la honte suprême). Seul Dieu sait ! Le pardon, la rémission et la miséricorde appartiennent exclusivement au Maître du trône immense, même si Wade a déjà gagné son billet pour le paradis comme il le dit souventes fois. Mais faisons gaffe, il n’ya pas de clef-minute pour ouvrir frauduleusement les portes du Paradis. Sacré Abdoulaye Wade ! On l’a déjà écrit, Abdoulaye Wade est admirablement effrayant ! C’est un affranchi. Il doit certainement adorer le cinéma de Martin Scorsese et son fameux « Les affranchis » admirablement interprété par Robert de Niro qui tue non pas par plaisir mais parce qu’il peut le faire sans trembler ; pour être un affranchi, il faut être mort spirituellement. Pourtant le mot existe en Ouolof mais dans un sens prétendument positif. C’est « Mbaa yallaal », c'est-à-dire être libéré par Dieu, être Dieu Lui-même. Ah ! faisons attention aux mots, à nos croyances, à notre culture. Un grand gourou de ce pays n’a-t-il pas dit « Luma def genn ci ! Da nou maa mbaa yallaal». La vérité est qu’au Sénégal nous sommes une seule et même famille, pour ne pas dire nous sommes tous de la même trempe ou du même acabit. Abdoulaye Wade sait bien que  sa parade est politiquement improductive mais elle aura l’effet de tomber dans des oreilles imbéciles. Même si c’est un mal infinitésimal, l’essentiel est qu’il aura fait du tort à une famille. C’est le comble du cynisme !

Traiter une famille de « deumm » et d’esclave est l’injure la plus avilissante. C’est la vouer aux gémonies en jetant le doute et l’opprobre sur toute sa lignée. C’est une injure de destruction massive qu’Abdoulaye Wade a déclenchée. Mais heureusement, même pour une arme mortelle il faut un détonateur pour l’allumer, un minimum de compétence technique et une caution morale qu’il a perdue depuis longtemps. Tout cela explique la vague d’indignation et l’ire provoquées par ses rodomontades inqualifiables. Wade maitrise son sujet, il sa société. Les plus jeunes ne savent pas que l’on dit « deumm ndey, ngaana baay », autrement dit la lèpre se transmet par le père et « l’anthropophagie » par la mère ; pauvres mères ! N’avez-vous pas remarqué ? On injurie beaucoup plus la mère que le père dans nos sociétés. La pire des injures est de prononcer le nom de la mère pour faire vraiment mal. Les jeunes d’aujourd’hui n’y vont plus par quatre chemins ; le mot « Ndey » qui signifie « mère » est dans chaque phrase impérative qu’ils prononcent. C’est comme si on ne peut plus donner d’ordre, exprimer un souhait ou faire une prière sans injurier. Les sociolinguistes devraient nous aider à comprendre ce phénomène d’autodestruction suicidaire. A moins qu’ils ne prennent la chose pour un épiphénomène. L’économie politique de la vulgarité serait vivement la bienvenue. Toutes ces remarques trouvent peut-être leur explication dans notre civilisation matrilinéaire. Pourquoi s’exprime-t-on si mal dans notre société contemporaine ? Il n’ya guère, un homme politique presque aussi retors que Wade à invoqué de façon blasphématoire un verset du coran pour insinuer que  son adversaire est né hors mariage. Personne n’a trouvé à y redire. Dans ce pays les hommes politiques ont tous les droits.

Le grand Seydil Hadji Malick Sy qui voulait réformer la société sénégalaise est l’auteur d’un étrange aphorisme que son petit fils Cheikh Tidiane Sy répète à toute occasion où il s’agit d’un sujet de société : « Au Sénégal, la Sounna ne vaincra jamais la tradition ! » Il est difficile de trouver une « formule sociologique » plus juste pour qualifier l’ambivalence dans les croyances religieuses au Sénégal. Pour preuve, un prêcheur bien connu de ce pays a avoué avec sincérité qu’il croyait au « deumm », jusqu’à ce qu’il rencontre Cheybatoul Hamdi Diouf. Il avait jusqu’alors réussi toutes les contorsions philosophico-religieuses et  convoquer des principes de droit musulman pour ne pas croire à « ces histoires », mais rien n’y fit. Sa croyance restait tenace à cause  du phénomène du « dieufour » qui est un état de transe démentielle caractérisée par une logorrhée accusatoire. Le malade qui est pour la plupart du temps une femme, pousse des cris et s’auto-accuse de pratiques « anthropophagiques ». Tous les spécialistes du monde des Djinn et de la démonologie, comme Cheybatoul Hamdy Diouf (Paix à son âme), Abdou Salam Baaly et bien d’autres dans le monde, sont unanimes que le « dieufour » ou transe démentielle n’est qu’une des nombreuses formes de possession. Le Djinn maléfique prend possession du corps, des organes de la personne pour s’exprimer à travers sa langue faisant croire aux témoins que c’est la personne présente qui parle. Les non-initiés tombent du coup dans le piège. Mais comment un prêcheur qui a fait ses humanités dans les plus grandes universités islamiques peut-il tomber « dans le panneau » ? C’est que la plupart des hommes sont condamnés à croire qu’à ce qu’ils voient. Une des stars des Shows religieux aujourd’hui, à la question de savoir si les « deumm » existent ou pas, a répondu qu’il connait quelqu’un qui les soigne. El Hadji Malick a encore raison, les traditions ancestrales s’invitent jusque dans la bouche d’un de ses disciples-prêcheurs. Ce brave monsieur ne sait pas qu’il vient d’avouer que ceux qu’on accuse de sorcellerie sont des malades-possédés qu’il faut soigner. Pendant des siècles en occident de pauvres innocents ont subi l’autodafé, accusés de sorcellerie alors qu’ils n’avaient besoin que d’être soignés.  Voilà l’origine de l’expression « chasse aux sorcières ». Et que dire de ceux qui se disent eux-mêmes « deumm » ? C’est qu’ils sont eux-mêmes des possédés ; possédés-envoûtés, ayant vécus longtemps en état de possession qu’ils en sont venus à perdre totalement la faculté de distinguer les actes volontaires qui relèvent de leur personne et les agissements démoniaques des entités qui les possèdent. La possession est un phénomène d’une rare complexité.

Quand il s’agit de choses qui vont au-delà de la raison beaucoup d’intellectuels francophones et arabophones sont désarmés parce qu’ils ne savent pas que la démonologie est une science, une science cachée, avec ses codes, sa terminologie et ses méthodes. Le professeur Ibrahima Sow de l’IFAN qui a créé le laboratoire de l’imaginaire à l’UCAD,  fait beaucoup d’efforts dans ce domaine, mais il est seul et même souvent désarmé par sa propre raison universitaire. La raison a une histoire, ne l’oublions pas. Son combat louable contre les charlatans et imposteurs l’éloigne souvent du sujet. Il est possible de pénétrer « le milieu », le pratiquer et garder en même temps une distance critique. Beaucoup d’intellectuels ne veulent pas se laisser aller dans ces sujets de peur d’être qualifié de déviants, superstitieux et perdre du coup leur crédibilité « intellectuelle». L’université a ses réalités, mais le destin paradoxal d’un chercheur est de quitter l’université tôt ou tard. Beaucoup ne savent peut-être pas que Sigmund Freud a rompu avec Carl Gustav Jung de peur de perdre sa crédibilité scientifique. Il a finalement gagné en autorité scientifique, mais il a perdu un océan de savoir découvert et exploré par Jung à travers les études de l’inconscient mythologique. Le terrible Jacques Derrida aura tort plus tard de penser dans sa critique de Gaston Bachelard que la philosophie occidentale a « un sérieux problème » avec la question de la métaphore. Le problème des intellectuels est plutôt l’incapacité à penser le savoir philosophique sous l’angle du symbolisme et de la métaphore. Ah ! s’ils savaient.

Un Ibrahima Sow recadré, un Iba Fall plus profond, moins timide et un Moustapha Sène sorti de l’ombre peuvent éclairer beaucoup au sujet de l’imaginaire. Ce dernier est l’auteur d’une brillante thèse dirigée par Madame Lilyan Kesteloot, intitulée « Le surnaturel et le merveilleux dans les ethno-contes  Ouolofs : Essai sur l’imaginaire et les visions endogènes de l’environnement.» Lorsque des déclarations aussi lourdes de sens et  apparemment anecdotiques pour les partisans de la simplification qui ne veulent jamais s’embarrasser de soucis intellectuels, s’invitent au sommet de l’élite politique, la science est interpellée. Elle peut venir de partout. Les intellectuels, surtout francophones, hésitent souvent à faire par exemple l’économie politique de la sorcellerie, du sexe ou de la mort. Ces « données » participent fondamentalement au processus de compréhension du pouvoir en Afrique, de nos sociétés modernes, et disons-le de l’idiosyncrasie  de nos dirigeants. Cette question de « deumm »est loin d’être anecdotique, elle participe, à l’évidence, de la thématique de la mort, du pouvoir et du symbolisme macabre de la nuit très caractéristique de la politique africaine. Nous avons écrit le vendredi 05 Août 2011 la chose suivante : « la sorcellerie en politique africaine est liée à la mort, symboliquement parlant. La sorcellerie est l’une des pratiques qui fondent la nécro-politique en Afrique. Dans nos pays le pouvoir politique est synonyme de capacité de donner la mort, de tuer physiquement ou symboliquement. Il n’est pas rare d’entendre un politicien menacer son adversaire de « liquidation ». Au Sénégal on est loin des pays où les sacrifices humains font partie de la politique gouvernementale. Mais attention chaque pays africain possède sa propre échelle de magie et de sorcellerie. » Quoi de plus assassin que de traiter son prochain de « sorcier » ? C’est tenter de le liquider socialement.

Abdoulaye Wade a oublié que dans l’Afrique moderne la question des « deumm » a évolué selon les paramètres spatio-temporels, les positions de pouvoirs économique et politique. Des familles intouchables, infréquentables depuis des générations se sont vite fait anoblir par la société et réhabiliter par le phénomène de l’oubli volontaire et intéressé parce que ces familles sont devenues riches. Qui ose traiter de « deumm » une famille riche et puissante ? Les gens n’en ont même pas intérêt puisqu’ils veulent maintenant les fréquenter. Ils sont prêts à se faire manger par un riche-deumm mais c’est en vérité eux qui mangent les riches. Ils provoquent le dégoût. Ah !  la colère scatologique de Galaye le personnage d’Ibrahima Sall-le poète, me vient à l’esprit : « Galaye donnait libre cours à ses fantasmes. Il imaginait le déluge qui jaillirait de l’immensité des latrines. Il serait fait des appétits de ses semblables, de leur suffisance et de leurs prérogatives. Un plat de choix pour les vers à l’affût dans la tombe. Galaye avait un problème. Il se demandait comment se faire scatophage parmi les gourmets / Riches ? Les excréments n’ont d’odeur tout comme le Dieu Argent. C’est une fosse commune pour les aisances de tout un chacun. Dieu sait que l’homme ne peut, ni n’a le droit de sentir mauvais. »

 Il est difficile de rester calme devant ce manque, ce refus, cette absence de conscience de classe qui va nous tuer tous. C’est la maladie du siècle au Sénégal. L’oubli volontaire des origines. Ce qu’il faut vraiment pour le Sénégal, personne ne le souhaite ! Beaucoup d’aventuriers de tous ordres se disputent aujourd’hui l’espace public en le souillant par leurs faits, gestes et pratiques immorales. D’autres sont grisés par leur présence frauduleuse et éphémère dans cet espace. Une troisième catégorie de personnalités est droguée à l’espace publique parce qu’elle y a longtemps séjourné. Tout cela explique ces  consciences déstructurées comme du papier mâché qui hante l’élite nationale ; état mental symbolisé par cette image violente du poète qui provoque le dégoût et  le vomissement. De toutes les façons le Sénégal ira quelque part et  l’histoire remettra beaucoup à leur place.

Khalifa Touré
776151166




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