D’un point de vue artistique
l’irrévérence ne
paye que lorsqu’elle a un
contenu esthétique. Le cinéma par essence est
la transgression du réel par le biais d’un langage propre à l’auteur.
Mais lorsque l’auteur ne possède pas un langage ou qu’il utilise ce langage par
intermittences dans les moments « sérieux » de son histoire qu’il
entrecoupe de scènes vulgaires soi-disant érotiques, nous ne sommes plus dans
l’Art mais dans une insolence inutile. C’est le cas dans beaucoup de films sénégalais
ces dernières années. Le danger est que cette manie devienne un simple procédé
mécanique sans contenu, qui ne nous dit rien et enlève au film tout son aspect subversif. « La
dimension subversive du cinéma est sa volonté constante d’échapper au manichéisme »
pense à juste raison le cinéaste mexicain Guillermo Del Toro. Les films les
plus subversifs de l’histoire du cinéma ne sont pas forcément des films
érotiques. « L’Amant » de Jean Jacques Annaud, « Anatomie de
l’enfer » de Catherine Breillat « L’empire des sens » de Nagisha
Oshima sont loin derrière « Citizen Kane » d’Orson Welles, « Le
Cuirassé Potemkine » de Serguei Eisenstein et « La règle du
jeu » de Jean Renoir. Depuis Sembene Ousmane on n’a plus de scènes
véritablement érotiques. L’érotisme c’est du sexe « soit dit en passant »,
suggéré en quelque sorte. Depuis lors il n’ya eu que l’excellent « Un
amour d’enfant » de Ben
Diogoye Beye, une histoire sincère, innocente et universelle filmée avec
beaucoup de réalisme. « Karmen » aurait pu être un
« grand » film si l’auteur n’avait pas dévoyé tout son savoir-faire
pour ne faire valoir qu’une liberté créative fantasmée. Joe Gai a-t-il compté
le nombre de fois que son personnage féminin écarte inutilement les
jambes ? C’en est devenu mécanique, routinier et agaçant en fin de
compte ! Ce film délicieusement bruyant est finalement devenu un flop par
l’imprudence du réalisateur. Quant à « Dial Diali » d’Ousmane William
Mbaye, nous avons heureusement un court-métrage, un documentaire, genre
exigent, sur un aspect particulier de la culture érotique des femmes
sénégalaises. Quant à « Teuss Teuss » l’histoire est tellement plate
que l’on ne retient que les nombreuses scènes d’amour. Hubert Laba Ndao aurait dû réécrire l’histoire avec un
vrai schéma narratif. Mais un bon film est surtout une atmosphère. On ne peut
construire une atmosphère sans une photographie digne de l’histoire que l’on
raconte. La photographie participe de l’écriture du cinéaste. Mais bof !
il a fait ce qu’il a pu. Dans ce film se dégage aussi un féminisme décoloré et
décrépit. Du poncif et du
déjà vu ! Une sorte de Sous-Mariama Ba avec bien moins de vérité et
d’écriture. Personne ne demande aux réalisateurs de faire un film « asexué »,
un film a toujours un genre et son genre c’est le Neutre. Même s’il est
difficile d’être neutre en français. Nous ne connaissons que le féminin et le
masculin. Un grand film est forcément neutre au sens grammatical du mot. Depuis
l’immense Carl Dreyer un sait que le montage est la grammaire du cinéma. C’est
la syntaxe et la logique d’évolution des personnages dans le temps et l’espace.
Dans un film le réalisateur ne fait pas tout mais c’est lui qui inspire tout.
C’est là où réside la différence entre un cinéaste ouvreur d’imaginaire et passeur
de symboles qui a quelque chose à dire
et possède un langage et un simple réalisateur qui est plutôt un technicien, un
passeur de procédés cinématographiques éculés.
Aujourd’hui nous avons des faiseurs de films, des films-makers, un
métier improbable inventé par les producteurs de Hollywood. Ce sont des
techniciens sans ambition qui vendent leur savoir-faire au plus offrant. C’est pourquoi
se pose la dérangeante question : Qui est l’auteur d’un film ? Le
scénariste, le metteur en scène-réalisateur ou le producteur ? « La
Pirogue », « Timbuktu » sont des
films français ou
africains ? « Teuss Teuss » appartient à Jacqueline
Fatima Bocoum ou à Hubert ? Bref, cette « insolence » si elle
était irrévérencieuse avec un contenu esthétique agrémenté d’un véritable récit
qui raconte quelque chose de grand elle nous rapporterait la palme d’or à
Cannes. Notre cinéma risque de devenir une mécanique sexuelle routinière,
auprès des jeunes réalisateurs à venir qui auront tendance à répéter. Il ya à
noter aussi un phénomène de complaisance dans le casting des personnages. Au
moment où ailleurs on découvre constamment de nouveaux comédiens, la plupart de
nos cinéastes se tournent toujours vers les mêmes têtes, les mêmes visages qui n’hésitent
pas à le faire, bref à franchir le pas entre le nu et le vêtir. De ce point de
vue notre théâtre populaire et même les téléfilms sénégalais sont plus ouverts
à la nouveauté. Le choix abusif des mêmes personnes-personnages installe
surtout une esthétique de la monotonie à travers des visages et des silhouettes
dont la plasticité renvoie à une constante volonté de transgresser. Le jour où
notre cinéma sortira de la crise actuelle, elle risque encore d’être confrontée
à ce procédé qui l’éloigne du regard
local qui est propre au peuple.
Khalifa Touré
sidimohamedkhalifa72@gmail.com
776151166/709341367
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