dimanche 10 janvier 2016

Le cinéma sénégalais devient-il inutilement insolent ?





D’un point de vue artistique  l’irrévérence ne paye que lorsqu’elle a un contenu esthétique. Le cinéma par essence est  la transgression du réel par le biais d’un langage propre à l’auteur. Mais lorsque l’auteur ne possède pas un langage ou qu’il utilise ce langage par intermittences dans les moments « sérieux » de son histoire qu’il entrecoupe de scènes vulgaires soi-disant érotiques, nous ne sommes plus dans l’Art mais dans une insolence inutile. C’est le cas dans beaucoup de films sénégalais ces dernières années. Le danger est que cette manie devienne un simple procédé mécanique sans contenu, qui ne nous dit rien et enlève  au film tout son aspect subversif. « La dimension subversive du cinéma est sa volonté constante d’échapper au manichéisme » pense à juste raison le cinéaste mexicain Guillermo Del Toro. Les films les plus subversifs de l’histoire du cinéma ne sont pas forcément des films érotiques. « L’Amant » de Jean Jacques Annaud, « Anatomie de l’enfer » de Catherine Breillat « L’empire des sens » de Nagisha Oshima sont loin derrière « Citizen Kane » d’Orson Welles, « Le Cuirassé Potemkine » de Serguei Eisenstein et « La règle du jeu » de Jean Renoir. Depuis Sembene Ousmane on n’a plus de scènes véritablement érotiques. L’érotisme c’est du sexe « soit dit en passant », suggéré en quelque sorte. Depuis lors il n’ya eu que l’excellent « Un amour d’enfant » de Ben Diogoye Beye, une histoire sincère, innocente et universelle filmée avec beaucoup de réalisme. « Karmen » aurait pu être un « grand » film si l’auteur n’avait pas dévoyé tout son savoir-faire pour ne faire valoir qu’une liberté créative fantasmée. Joe Gai a-t-il compté le nombre de fois que son personnage féminin écarte inutilement les jambes ? C’en est devenu mécanique, routinier et agaçant en fin de compte ! Ce film délicieusement bruyant est finalement devenu un flop par l’imprudence du réalisateur. Quant à « Dial Diali » d’Ousmane William Mbaye, nous avons heureusement un court-métrage, un documentaire, genre exigent, sur un aspect particulier de la culture érotique des femmes sénégalaises. Quant à « Teuss Teuss » l’histoire est tellement plate que l’on ne retient que les nombreuses scènes d’amour. Hubert Laba Ndao aurait dû réécrire l’histoire avec un vrai schéma narratif. Mais un bon film est surtout une atmosphère. On ne peut construire une atmosphère sans une photographie digne de l’histoire que l’on raconte. La photographie participe de l’écriture du cinéaste. Mais bof ! il a fait ce qu’il a pu. Dans ce film se dégage aussi un féminisme décoloré et décrépit. Du poncif et du déjà vu ! Une sorte de Sous-Mariama Ba avec bien moins de vérité et d’écriture. Personne ne demande aux réalisateurs de faire un film « asexué », un film a toujours un genre et son genre c’est le Neutre. Même s’il est difficile d’être neutre en français. Nous ne connaissons que le féminin et le masculin. Un grand film est forcément neutre au sens grammatical du mot. Depuis l’immense Carl Dreyer un sait que le montage est la grammaire du cinéma. C’est la syntaxe et la logique d’évolution des personnages dans le temps et l’espace. Dans un film le réalisateur ne fait pas tout mais c’est lui qui inspire tout. C’est là où réside la différence entre un cinéaste ouvreur d’imaginaire et passeur de symboles  qui a quelque chose à dire et possède un langage et un simple réalisateur qui est plutôt un technicien, un passeur de procédés cinématographiques éculés.   Aujourd’hui nous avons des faiseurs de films, des films-makers, un métier improbable inventé par les producteurs de Hollywood. Ce sont des techniciens sans ambition qui vendent leur savoir-faire au plus offrant. C’est pourquoi se pose la dérangeante question : Qui est l’auteur d’un film ? Le scénariste, le metteur en scène-réalisateur ou le producteur ? « La Pirogue », « Timbuktu » sont des  films français ou  africains ? « Teuss Teuss » appartient à Jacqueline Fatima Bocoum ou à Hubert ? Bref, cette « insolence » si elle était irrévérencieuse avec un contenu esthétique agrémenté d’un véritable récit qui raconte quelque chose de grand elle nous rapporterait la palme d’or à Cannes. Notre cinéma risque de devenir une mécanique sexuelle routinière, auprès des jeunes réalisateurs à venir qui auront tendance à répéter. Il ya à noter aussi un phénomène de complaisance dans le casting des personnages. Au moment où ailleurs on découvre constamment de nouveaux comédiens, la plupart de nos cinéastes se tournent toujours vers les mêmes têtes, les mêmes visages qui n’hésitent pas à le faire, bref à franchir le pas entre le nu et le vêtir. De ce point de vue notre théâtre populaire et même les téléfilms sénégalais sont plus ouverts à la nouveauté. Le choix abusif des mêmes personnes-personnages installe surtout une esthétique de la monotonie à travers des visages et des silhouettes dont la plasticité renvoie à une constante volonté de transgresser. Le jour où notre cinéma sortira de la crise actuelle, elle risque encore d’être confrontée à ce procédé qui l’éloigne du  regard local qui est propre au peuple. 

Khalifa Touré
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