lundi 14 mars 2016

Les femmes peuvent elles parler ?




« A l’ origine si vous êtes pauvre, noire et femme, vous avez décroché le gros lot » Gayatri Spivak

En 1983 une intellectuelle indienne, nommée Gayatri Chakravorty Spivak se fit connaître dans le monde  du savoir en publiant un livre de quelques pages devenu fameux : Les subalternes  peuvent-elles parler ? « L’un des textes de la critique contemporaine et des études postcoloniales les plus discutés dans le monde depuis vingt cinq ans » selon Gérôme Vidal. Un texte puissant et retentissant dans les centres de production du savoir mais aussi dans le public des lecteurs toujours à l’affût d’informations scientifiques. C’est à croire qu’il existe une actualité scientifique liée non pas forcément aux découvertes scientifiques, il n’y en a presque plus, mais à l’évolution des idées qui nous viennent  des lieux du savoir. Une femme intellectuelle doit servir à quelque chose, son métier est de réfléchir avec les masses féminines. Gayatri Spivak est en cela une véritable star dans les campus américains au même titre que feu Edward Saïd  et dans une moindre mesure, Noam Chomsky. L’autre égérie médiatique du féminisme doctoral est bien entendu l’américaine Judith Butler. Donna Haraway, Nancy Harstock, Sandra Harding, Janet Wolff et Seyla Benhabib sont plus discrètes mais néanmoins importantes et puissantes par la pensée.
  Le féminisme de haut vol gagne toujours en abstraction qui lui permet de s’épurer et s’aérer des scories d’un militantisme éculé incapable de prendre en charge l’évolution psychologique de la gent féminine depuis cinquante ans. Cette évolution étrange qui la rapproche progressivement des hommes, surtout au plan du goût, est regardée avec inquiétude par les féministes de la vieille garde qui fulminent contre ces filles qui défendent le recours aux traditions familiales et préfèrent fréquenter les garçons. Les femmes ne sont pas solidaires disent-elles, comme si elles devraient l’être à tout prix,  au lieu de se dire pourquoi ? Une question dont la réponse peut-être non pas gênante pour la science mais pour la cause féministe. Aujourd’hui en France, le féminisme radical de Mme Elisabeth Badinter ne passe plus chez des personnalités féminines comme Nadine Morano ou Nathalie Kosciuszko-Morizet. 

Le féminisme soixante-huitard est mort dans ce monde où les intellectuels de droite proclament urbi et orbi leurs idées plus ou moins conservatrices. Quant aux égarements regrettables de femmes comme la camerounaise Calixthe Beyala et la bangladaise Taslima Nasreen qui professent un féminisme insolent et vulgaire par l’injure de leur propre corps et même celui de leur père ; elles n’ont pas servi la cause des femmes. C’est le même féminisme pornographique, inintelligent et faussement hystérique que l’on retrouve chez les  Femen. Il n’a pas fait long feu. Le féminisme de gauche est moribond, et le notre, ceux du Sénégal et d’autres pays africains sont en butte à de grandes difficultés théorétiques. En vérité nos féministes n’ont jamais théorisé ; Il ya certes eu des études et même un « laboratoire-genre » mais  un travail d’extraction de principes du bonheur chez les femmes, qui à mon avis, est la principale mission du féminisme, n’a pas été fait. Les femmes sont en quête du bonheur c’est aussi simple que cela. De puissantes figures féminines qui n’ont rien à voir avec la rhétorique féministe s’investissent depuis des années pour l’humanité en générale. Il s’agit au Sénégal des éducatrices comme Sayda Mariam Niasse, Adja Bineta Thiam et Anta Mbow de l’empire des enfants. Au Burundi Margerite Barankitse mérite le Prix Nobel de la Paix. 

Notre féminisme a été plombé par la politique. Qu’est-ce que les femmes ont gagné dans l’illusion de la responsabilité politique ? Nos féministes devraient nous révéler les maltraitances et pratiques de possession morale et physique que subissent les filles et même les femmes dans les partis politiques. « L’état du corps féminin dans les partis politiques. » Un sujet de recherche pour les partisans de l’approche genre. Nos féministes ont parlé pendant des années comme s’ils étaient des sujets asexués, un vrai paradoxe puisqu’elles sont sensées parler au nom des femmes. Mais avant de parler aux femmes il faut avoir l’humilité et la faculté de les écouter. 

Lorsque les féministes se comportent comme les hommes en répétant leurs travers par des pratiques de capture de fonds et d’autorité au nom du genre, il ya des raisons d’être sceptique quant à leur combat. Partout au Sénégal dans les contrées reculées, dans les villes et les villages, nous avons été particulièrement frappés par la disgrâce physique qui apparait dans le visage des femmes. Elles fuient votre regard. Le marasme esthétique est plus triste chez la gent féminine. Une longue fatigue, morale et physique, est passée par là ! Ici elles sont battues ou livrées à leur belle famille, ailleurs elles sont massivement violées. Une arme de guerre répète-t-on partout comme si des hommes n’avaient pas le désir bestial de se jeter massivement sur les femmes en période de paix. Cette formule est une banalisation des faits. La guerre n’a qu’un effet multiplicateur et permissif. Le viol n’est pas une arme de guerre. Il était déjà présent dans certaines sociétés où le regard masculin sur la femme est toujours bestialement sexuel. Lorsque la femme parle, elle devient inaudible parce qu’incomprise. Elle s’exprime en un langage qui est toujours interprété à travers le prisme des préjugés. Les féministes écoutent-elles les femmes ?  Les féministes laissent-elles les femmes parler ? Il me semble que ce n’est pas toujours le cas ! Elles préfèrent leur parler d’approche genre maintenant, plus de féminisme, la rhétorique a changé, mais la condition des femmes pas tellement !

KHALIFA TOURE 
sidimohamedkhalifa72@gmail.com
 

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