dimanche 17 avril 2016

Les Panama Papers ou le refus du partage




Le scandale des Panama Papers a ceci d’intéressant qu’il est le symptôme de ce qu’on peut appeler la crise du partage, du don et de la solidarité. Les hommes en général ont peur de donner. C’est instinctif ! Sauf les généreux et les philanthropes, qui sont rarissimes. Mais cet événement médiatique est d’autant plus grave qu’il révèle un  mensonge généralisé sur notre système de vie en tant que civilisation humaine. Tous les systèmes modernes inventés par l’homme, à commencer par la démocratie, sont à quelques aspects mensongers parce qu’ils demandent aux hommes d’adhérer malgré eux à un idéal de bonté universelle. « Pour faire des lois, il faut supposer les hommes méchants » a écrit le très avisé Nicolas Machiavel, un singulier parmi les grands connaisseurs de l’homme comme Alexis Carrel et Fiodor Dostoïevski ou Jean Baptiste Poquelin dit Molière  dont  « L’avare » a traversé les siècles.  Mais de là à faire l’apologie d’un système de vie fondé sur un réalisme abject, il y a un monde. S’il fallait prendre toujours l’homme tel qu’il est dans toutes les affaires de la vie, on aurait eu un monde peuplé de bêtes féroces. Si les hommes ont eux-mêmes inventés la morale, la générosité, le don de soi, de ses biens et même la philanthropie contre leurs propres pulsions égoïstes c’est parce que le geste du partage est utile pour l’équilibre de la vie en société et l’élévation spirituelle. 

Les hommes sont prétentieux, ils aiment aspirer à la hauteur. Tout cela rend, abjecte, horrible, mensongère et même criminelle cette histoire de Panama Papers dont la liste est presque exhaustive du point de vue de la typologie des mis en cause. On y trouve des hommes politiques, des banquiers, des hommes d’affaires, des sportifs, des juges, des espions, des militaires, des diplomates, des cinéastes, des écrivains, des musiciens, des avocats, des escrocs professionnels et reconnus, des  parents et associés de membres de gouvernements( à ce titre  Pierre Goudiaby Atepa architecte et conseiller spécial de l’ex-président du Sénégal Abdoulaye Wade et  Mamadou Pouye, ami de Karim Wade, lui-même fils de l'ancien président Abdoulaye Wade ont été cités). L’homme d’affaires Seydou Kane  a lui aussi été cité. Ils sont pour le moment les seuls citoyens sénégalais cités dans cette affaire. 

« Les Panama Papers  désignent la fuite de plus de 11,5 millions de documents confidentiels issus du cabinet d'avocats panaméen Mossack Fonseca, détaillant des informations sur plus de 214 000 sociétés offshore ainsi que les noms des actionnaires de ces sociétés. » Il faut à la vérité dire que cette affaire est un grand moment de journalisme. Elle comptera à coup sûr parmi les plus belles pages de la pratique journalistique. Un moment épique sans aucune forme d’exagération. Mais le véritable héros de cette « bataille » est ce lanceur d’alerte anonyme qui a dénoncé et organisé la fuite de ces informations avant que des professionnels de l’information se saisissent de ce « crime » pour faire un minutieux et secret travail de vérification, de recoupement, de croisement pour aboutir à un dossier dont l’authenticité est indéniable. Les Panama Papers sont une œuvre monumentale : 2,6 téraoctets de données compulsées incluant 214 000 sociétés offshore, plus de 4,8 millions d'emails,  3 millions de bases de données, 2 millions de fichiers PDF, 1,1 millions d'images (notamment les photocopies des passeports des actionnaires et des scans de contrats signés),  320 000 fichiers-texte et environ 2 000 fichiers d'autres formats. Il ya des raisons d’espérer en ce monde lorsque l’on pense au nombre d’hommes et de femmes qui se sont relayés pour faire ce travail philanthropique : 370 journalistes issus de 109 rédactions basés dans 76 pays. D’autres révélations sont à venir. La pègre mondiale a du souci à se faire.

Dans la plupart des pays anglo-saxons à culture capitalistique et protestante où l’argent n’est pas un « objet » tabou comme dans les sociétés à tradition catholique ou musulmane, les sociétés  extraterritoriales appelées offshore, ne sont pas frappées d’interdit. Mais tout le monde conviendra que leur utilisation comme sociétés-écran dans l’évasion fiscale et le blanchiment d’argent ne peut qu’être criminel. C’est du vol déguisé fondé sur le mensonge, la dissimulation frauduleuse et le refus de partage. D’où vient tout cet argent ? Pourquoi Panama qui a dopé son économie par l’argent sale n’est-il pas classé parmi les États voyou ? Des experts, toujours les fameux experts, ont beau dire que cette affaire n’incrimine pas seulement l’argent du crime mais concerne aussi de l’argent honnêtement gagné. Honnêtement gagné oui, mais dont les détenteurs ont délibérément violé le principe du partage et la loi sur la fiscalité. Que de simples footballeurs comme Lionel Messi oublient leurs origines modestes en trichant sur l’importance de leur fortune pour éviter de payer plus d’impôts est certes  exécrable. Mais le plus effrayant dans cette affaire c’est le nombre important de juges et de parlementaires qui figurent dans la liste : Brésil, Botswana, Cambodge, Equateur, Kenya etc. Que font dans cette liste honteuse, Jaynet Kabila membre de l'Assemblée nationale, fille de l'ex-président Laurent Désiré Kabila et sœur de l'actuel président Joseph Kabila,  Clive Khulubuse Zuma, neveu du président Jacob Zuma, Jean-Claude N'Da Ametchi, associé de l'ancien président Laurent Gbagbo, John Addo Kufuor, fils de l'ancien président John Kufuor,  Mamadie Touré, veuve de l'ancien président Lansana Conté, Kojo Annan, ghanéen, fils de l'ancien secrétaire général Kofi Annan, Tareq Abbas, fils de Mahmoud Abbas, chef de l'Autorité Palestinienne ? Ils sont tous issus de milieux extrêmement pauvres. Ils devraient avoir honte. Mais l’assemblée de hommes ne peut fonctionner à la vergogne. Des hommes et des femmes ne peuvent continuer à manger la chair des pauvres sans être jugés et condamnés pour cannibalisme. A suivre !
Khalifa Touré

776151166




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