samedi 9 juillet 2016

Sénégal, le pays des cinéastes sans cinémas.





Le cinéaste franco-sénégalais Alain Gomis a  remporté l’étalon d’or de Yennenga au FESPACO. Distinction suprême pour ce jeune cinéaste qui a trimé pour réaliser son film « Tey »,  une fable « métaphysique » sur la vie et la mort. Alain Gomis, né à Paris, a rendu hommage au grand cinéaste Djibril Diop Mambety, à qui dit-il, il doit beaucoup. Alain Gomis, est certainement très généreux, mais la vérité, la réalité est qu’il n’ya plus de « cinémas » au Sénégal. Ce prix est l’arbre qui cache la forêt.

 Le Sénégal a ceci de paradoxal d’être le pays de Sembène Ousmane, le plus grand cinéaste Africain au Sud du Sahara, Djibril Diop Mambety, cinéaste-underground dont le génie est connue de tous les cinéphiles, mais aussi le pays où toutes les salles de cinéma ont fermé depuis plus d’une décennie. Une crise profonde dont le diagnostic peut révéler des causes multiples : La grande crise, la plus grande crise du cinéma sénégalais c’est la crise de la vocation qui n’est pas spécifique au cinéma. C’est une crise transversale dans la société sénégalaise. Elle frappe aussi le monde de la presse et de l’éducation. C’est une crise liée au déficit d’éducation, au phénomène du nivellement par le bas, mais aussi à la crise du secteur de l’emploi.
 Le cinéma c’est avant tout un art populaire, mais tout de même, un art qui demande une grande capacité de mobilisation de ressources imaginatives. Il faut une large voie, une grande vocation et même des obsessions pour être grand cinéaste. Or la vocation manque beaucoup dans la culture ambiante. Plus que le comment, la vocation répond plutôt à la question du pourquoi ? Pourquoi j’ai choisi le cinéma comme métier? Pourquoi suis-je happé par cet univers ? Pourquoi cette voix qui chante dans ma tête et que je veux faire entendre à tous ? La vocation est cette petite musique, cette sourde voix qui mène à la grande voie par les  chemins de la création. A l’absence de vocation il n’ya pas de style. « La première règle d’un bon style, qui suffît presque à elle seule : c’estqu’on ait quelque chose à dire. Avec cela on va loin» a écrit Arthur Schopenhauer. C’est ce grand « quelque chose » qui manque, au cinéma Sénégalais depuis quelques années et à la littérature. Et ce « quelque chose » est fondamentalement lié à la vocation. Lorsque les jeunes sont encouragés à ne répéter que les procédés cinématographiques, ils seront réduits à créer du déjà vu, des films qui manquent de sens. Aujourd’hui dans le monde il ya plus de « faiseurs de films », des « filmaker »  que de cinéastes qui possède un langage singulier. Un cinéaste c’est avant tout un poète et les poètes ne courent pas les rues. 
Ensuite vient le  problème de la formation aux métiers du Cinéma. Le cinéma cela s’apprend, c’est un métier. Il n’existe pas de grandes écoles de cinéma en Afrique, des écoles avec tous les moyens qu’il faut. Des sénégalais formés à l’INA ou à la FEMIS et qui comptent des années d’expérience sont en train de former des jeunes. Mais ils manquent de soutien étatique. Mais ces efforts devront être surtout tournés vers la culture cinématographique. Où sont les cinémathèques ? L’intérêt des cinémathèques c’est de préserver la mémoire du cinéma. Les cinémathèques, c’est le fil d’Ariane qui permet au jeune cinéaste de savoir par où commencer. Il n’existe pas un grand cinéaste qui n’ait subi l’influence d’un autre. La formation ce n’est pas que la technique. C’est aussi et surtout l’esthétique ; il s’agit d’emmener les apprenants à maitriser progressivement le langage cinématographique, la sémiologie du cinéma. Autrement, ils vont acquérir les techniques, les procédés sans être capables de créer une œuvre originale. La capacité d’identifier dans la rue une scène qui a une force narrative, ou une charge dramatique  ne s’apprend pas à l’école. C’est une question d’intuition.
 Arrive maintenant  le grave problème de la production. Il y a du mal à imaginer le Sénégal terre d’élection du Cinéma africain sans grande maison de production. Le cinéma c’est après tout de la production. Dans un pays comme les Etats-Unis le producteur est tellement influent que « le final cut », le dernier mot, le dernier montage lui appartient. En Afrique tant que nos gouvernants ne sont pas habités par l’idée de valoriser les biens immatériels, rien n’y fera. Le cinéma est surtout un enjeu culturel majeur. Tous les pays qui veulent compter aujourd’hui l’ont compris : l’Iran, le Mexique, la Corée du Sud, le Brésil. Le cinéma africain est victime de « l’assèchement » culturel de nos dirigeants. L’Afrique devrait construire au moins cinq grandes maisons de production, au Sénégal, au Nigéria, en Afrique du Sud, au Maghreb, au Kenya, afin de couvrir tout le continent. Les batailles futures auront certainement une connotation sémiologique et linguistique. Ce sera une guerre de la représentation, de l’interprétation et de l’herméneutique ; le cinéma et la littérature seront au centre de cette grande affaire. Le plus grande machine de propagande des Etats-Unis c’est Hollywood. Le cinéma ce n’est pas un simple divertissement, loin s’en faut.
La question des moyens revient souvent dans les débats sur le cinéma africain en général. Lorsque l’on parle de moyens on fait souvent allusion aux moyens financiers. Le pays est pauvre et il est difficile de produire des biens culturels dans un pays « sous développé ». Un film coute très cher certes mais le manque de moyens ne saurait  être une excuse. Les grands chefs-d’œuvre de l’histoire du cinéma  ont été réalisés « sans grands moyens ». La valeur d’un film réside plus dans la forte imagination poétique que l’auteur imprime à son œuvre.
 Une autre affaire aussi sérieuse que la crise de la vocation est le problème de la distribution et de la réception des œuvres cinématographiques. Il n’ya presque plus de salles de cinéma fonctionnelles au Sénégal. Le Sénégal  a ceci de paradoxal d’être un pays de grands cinéastes sans cinémas. Une crise liée non pas au désamour du public pour le cinéma mais au délestage du cinéma . Les raisons avancées pour expliquer cette situation restent « superficielles ». La désaffectation des salles de cinéma n’est pas nécessairement liée aux nouvelles technologies et au primat de la télévision mais à un certain manque de politique culturelle, à l’absence de vigilance et surtout au refus de « protectionnisme » culturel. Même les pays les plus ouverts pratiquent un certain  protectionnisme en défendant leur produit national. En Inde par exemple le cinéma américain ne marche pas aussi facilement qu’ailleurs parce que les indiens préfèrent leur propre cinéma. L’on oublie souvent que le public doit être protégé éduqué à « lire » l’image, habitué à regarder des chefs-d’œuvre afin de distinguer la vrai du faux. Le regard du public influence d’une certaine manière le travail du cinéaste. C’est pourquoi on parle d’esthétique de la réception. A force de regarder des feuilletons qui injurient l'intelligence et des films abrutissants, les gens en sont venus à croire que le cinéma est un simple divertissement. Voilà un grand problème! La bonne nouvelle est l’arrivée ces derniers temps de quelques films : « Si loin du Vietnam » de Laurence Gavron et « En attendant un 3eme prophète » un documentaire brûlant de Moustapha Seck, « Sembene » de Samba Gadjigo et « Kemtiyu seex Anta ». Deux films à discuter ultérieurement.

Au rythme ou vont les choses, le cinéma en tant qu’expression peut même disparaitre et en ce moment il ne restera plus que les techniques, les moyens, la forme sans contenu.  Aujourd’hui il ya plus de bons films que de beaux films.

Khalifa Touré
sidimohamedkhalifa72@gmail.com
 


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