samedi 16 juillet 2016

Extrémisme, littéralisme et violence en religion.




Dans « Les frères Karamazov », un petit livre de mille pages écrit au 19ème siècle par le russe Fédor Dostoïevski, un chapitre des plus intriguant intitulé « Le grand inquisiteur » a particulièrement attiré l’attention de Sigmund Freud, qui lui a fait dire que ce passage à lui seul est l’un plus grands chefs-d’œuvre de la littérature. Il s’agit du retour « restaurateur » de Jésus christ sur terre ! Descendu du ciel, il trouva ses plus ardents adeptes en période d’inquisition. L’autodafé qui s’ensuivit le laissa dans un état de « stupéfaction prophétique ». Comment un message d’amour peut-il se transmuer en une religion d’imprécation, de haine et de violence ? Ceux qui sont condamnés à brûler atrocement au feu ne le sont pas seulement par des mains  criminelles mais ils sont victimes d’une interprétation malheureusement littéraliste et sélective du texte sacré. 

Ce défaut du commentaire, cette corruption de l’exégèse, cette lecture apocalyptique des textes sacrés qui frappa l’Espagne chrétien au 16ème  siècle n’est pas forcément « volontaire » ; il est souvent le fait d’« esprits bornés et étroits dans leur petite sphère » pour reprendre le mot de La Bruyère. Des esprits carrés adeptes du littéralisme le plus inintelligent on en trouve  pas seulement chez les vulgaires. Il existe des érudits bedonnants adorateurs du fétichisme textuel qui ploient sous le poids renversant de la lettre ; ils abhorrent l’esprit, le méprise et vouent aux gémonies « les savants de la profondeur et de la finesse ». L’un d’entre-deux ne disait-il pas que Satan est le premier à utiliser Le Qiyas (Raisonnement par analogie dans le Droit musulman). Il le disait peut-être dans un esprit polémique face aux dérives de l’imagination débridée et spéculative de certains savants musulmans. Même Ibn Hazm Al Andalousie le porte-étendard de l’école juridique Zâhirite-littéraliste  est l’un des juristes les plus fins jamais connu. Quel paradoxe ! Autant dire que les « littéralistes » de la Belle Epoque sont différents de nos littéralistes d’aujourd’hui englués dans la mare visqueuse du tout-texte. Les vrais « littéralistes » de l’Islam que sont Ibn Hazm et son maître Daoud Zâhiri  entre autres sont plutôt des praticiens de l’interprétation immédiate et primitive du Coran et des Hadiths. Voilà qui est dit ! Comment une civilisation qui a fécondé Imam Ghazali, le maître de la revivification des sciences religieuses et Imam Chafi’i qui a inventé la science des principes juridiques (Ousoul Al Fiq), écrit le premier livre de philosophie du Droit (Al Oumm) peut-elle avoir produit des interprétations réactionnaires et mortifères du Coran ? Tout ceci est le fait de l’Homme. C’est le pire et le meilleur qui fait l’Homme. 

Tous les textes sacrés sont un tissu composé de milliers de fils reliés les uns aux autres. En ce qui concerne le Coran, il n’existe pas un seul verset parmi les 6666 qui est « libre » et indépendant des autres. Alors, une lecture sélective en serait presque malhonnête. Depuis que l’exégèse du coran a été « démocratisée » le monde musulman est entré dans une crise de l’Ijtihad, autrement dit une crise de l’interprétation et de l’Herméneutique qui est l’une des causes fondamentales de l’extrémisme noté ça et là. Sur des milliers de Compagnons du Prophète PSL, seul huit étaient habilités à donner des avis juridiques. La crise de l’Ijtihad (Interprétation adaptative du Coran et des Hadiths) est l’une des plus grandes catastrophes culturelles que le monde ait connues. Elle a éloigné de nous les plus grandes conquêtes de l’esprit humain dans le monde musulman. Alors les savants de la Lettre et de la fidélité ont occupé le vide provoqué par cette crise. Notez bien ! L’érudit musulman le plus influent de la deuxième moitié du 20ème siècle est un savant de la fidélité. Il s’agit de l’Albano-syrien Cheikh Nasrdine Albany. Sa contribution a été fabuleuse. Mais l’équilibre aurait voulu qu’un savant aussi sachant que lui occupe l’espace de l’Ouverture. L’Islam fonctionne à la fidélité et à l’ouverture. Le Docteur Youssouf Qaradawi est peut-être au Fiq ce qu’Albany est aux sciences du Hadith mais ce dernier a été soutenu par le pessimisme et la peur qui caractérise les hommes en période de crise. Ils ont tendance à « retourner aux sources » par tous les moyens. Personne ne peut dire de façon péremptoire sans risque d’être contredit par les faits que le fondamentalisme mène nécessairement au djihadisme comme on l’entend depuis quelques jours de la bouche de nos « experts ». On est même surpris de les entendre confondre intégrisme, fondamentalisme, salafisme, wahabisme et djihadisme. Ils ne soupçonnent pas une seconde la scissiparité et l’atomisation du modèle « Ibadou ». La majorité des « fondamentalistes » ne sont pas des djihadistes. Ils ne le seront jamais. Beaucoup de vieux Ibadou sénégalais reviennent naturellement à leurs vieilles habitudes soufies. La plupart de Djihadistes sont des « suivistes non piétistes ». Ils ne connaissent pas la lettre du Coran. Ils suivent ce qu’on en dit. C’est le phénomène du Taqlid. La plupart ne sont pas de grands pratiquants de l’Islam. Cela ne surprend que ceux qui ne s’intéressent que depuis peu au djihadisme. Ben Laden est une exception. C’est un fondamentaliste d’école piétiste adepte du djihadisme. Il existe des traditionnalistes d’école piétiste non-violents et apolitiques. Et encore et encore… En attendant que les experts nous éclairent ! 

Khalifa Touré
sidimohamedkhalifa72@gmail.com

                                         

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