Trois chefs-d’œuvre de
la littérature mondiale suffisent pour comprendre le phénomène criminel dans
ses multiples dimensions, anthropologique, sociale et psychologique : « Crime
et Châtiment » de Fiodor Dostoïevski, « Lumière d’Août » de
William Faulkner et « La beauté tôt vouée
à se défaire » de Yasunari Kawabata.
Ils meurent tous les jours des hommes et femmes par la main
de l’homme, pourtant leur prochain. Ceux qui vont mourir vous saluent, bientôt
assassinés par leur semblable. Une femme est morte au Sénégal égorgée par son
confident de chauffeur. Le fait défraie la chronique, les colères passagère,
empruntée ou sincère montent des cœurs endoloris par un crime abject. Le
consensus moral est menacé ! Le rétablissement de la peine de mort est
vivement demandé par une population interloquée au moment où l’élite
intellectuelle francophone et l’Eglise du Sénégal s’insurgent de façon presque
unanime contre la restauration de la peine capitale qui n’a du reste jamais été appliquée sauf en de
rares occasions à l’époque du poète négro-africain, Président, catholique,
humaniste et académicien français Léopold Sédar Senghor qui était ouvertement anti-abolitionniste.
Autant dire que tout est en l’homme, dans son profil qui
informe son opinion. Des institutions sont anti-abolitionnistes hic et nunc (ici
et maintenant) parce qu’en face et pour des raisons intelligemment opportunes
ils craignent la montée de l’intégrisme qui menacerait leur existence, mais
ailleurs et autrefois avec les mêmes références religieuses ils appliquaient la
peine capitale. C’est compliqué tout cela si l’on ne connait pas les craintes
et les aspirations cachées. Il faut savoir évaluer l’échelle des valeurs dans
la rhétorique anti-abolitionniste pour avoir une idée de ce qui passe.
« La plupart des gens ne savent pas » parce qu’ils ne s’en tiennent qu’à
l’opinion. Ce que l’on dit n’est pas forcément ce que l’on
est !
Lorsque François Mitterrand le socialiste-humaniste, ancien
vichyste, agnostique et jésuite défroqué a décidé d’abolir la peine de mort par
la langue éloquente de l’Avocat-juriste et franc-maçon Robert Badinter,
l’écrasante majorité de l’opinion française était favorable à la peine
capitale. Elle a été abolie contre le cours des choses et des hommes. Ce fut
pour des raisons humaniste et matérialiste. Le progrès et une idéologie. Les
abolitionnistes ont pris le temps de s’installer dans les appareils
idéologiques, l’école, les media, c’est de bonne guerre. Il faudrait qu’ils
comprennent à rebours que les anti-abolitionnistes se sont aussi incrustés à
travers les âges, les coutumes et les traditions religieuses qui fondent le socle
du consensus moral dans bien des cultures. Des sociétés hypermodernes et même
postmodernes comme le Japon sont anti-abolitionnistes invétérées. La peine de
mort n’est synonyme d’archaïsme que pour les incultes et les partisans de la
guerre idéologique. L’humaniste et jeune
Victor Hugo, aurait suffi avec son très précoce « Le dernier jour d’un
condamné » pour convertir les
partisans de la peine capitale. Et Léon Tolstoï, le géant ! Plus
intelligents, plus cultivés, plus fins et plus éloquents que les
abolitionnistes médiatiques d’aujourd’hui, ils n’ont pas pour autant convaincu
bien des lecteurs-admirateurs qui dans l’échelle des valeurs placent la foi au Seigneur de la
vie au dessus de tout. Les abolitionnistes, les bons, placent la vie de l’homme
en haut de l’échelle, tandis que les partisans de la peine de mort pensent que « ce
n’est que justice », la Justice prime sur la vie. Le Justice peut ôter la
vie parce elle est un principe supérieur, immatériel. Pour eux, rien à voir
avec la lutte contre la criminalité qui est une autre affaire liée surtout à
l’éducation.
Tolstoï et Victor Hugo
pourtant abolitionnistes seraient en colère contre bien des abolitionnistes
d’aujourd’hui. La plaidoirie insidieuse, sournoise, à travers les groupes de pression a fini de rendre ridicule, banal et quotidien cette
question radicalement philosophique et théologique qui touche même notre
existence en tant qu’être humain. Si le comte Léon et Victor Marie Hugo n’ont
pas convaincu de grands esprits comme l’écrivain arméno-américain William
Saroyan, ce ne sont pas des droits de l’hommistes prêcheurs-imprécateurs qui
vont le faire. Mais l’essentiel pour eux n’est plus de convaincre mais d’agir à
travers les décideurs politiques et administratifs. Et la messe est dite! Aux autres de se morfondre en leur
colère impuissante. Voilà le monde comme il va !
Le conflit des mondes a
fini par escamoter la littérature criminelle qui,
plus profonde, va jusqu’à la racine des choses. Rien à voir avec les mauvais et
même bons polars comme ceux de Chester Himes avec son étrange « Couché dans
le pain » et ceux de la légendaire Agatha Christie avec « Le crime de
l’Orient Express », un chef-d’œuvre.
William Faulkner, Dostoïevski et Kawabata nous ont appris que
l’acte criminel obéit à une mécanique implacable. Sans être dans le vulgaire
déterminisme sociologique et même psychologique, les hommes ne sont ne sont pas
prêts à tuer. Ils ne sont disposés à tuer que lorsque la machine criminelle se
met en marche par une série incontrôlée de faits, d’actes et d’événements qui s’enchainent,
s’entrechoquent vont crescendo et finissent par exploser par le meurtre. Ils
sont happés, possédés par les événements qui les contrôlent. Raskolnikov a
décidé de se débarrasser d’une exécrable vieille usurière, mais à un moment
donné il ne peut plus faire machine arrière parce qu’il ne conduit pas la
machine criminelle qui est entre des mains invisibles. L’homme qui tue est gêné
par quelque chose dont il se débarrasse par la violence criminelle. Il tue pour
être à l’aise, pour s’éloigner d’une impérieuse oppression interne. C’est de la
folie ! Tous les tueurs ont raison, d’une mauvaise raison…une raison du
diable. Il n’ya pas plus égoïste qu’un criminel, il ne voit que son bonheur sa
paix intérieure exclusivement. (A suivre)
Khalifa Touré
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