« Les
gens se vengent des services qu’on leur rend » s’est
évertué à dire avec le raffinement
impertinent qu’on lui connait, le plus
grand écrivain français du 20eme siècle, il s’agit de Louis Ferdinand Céline.
Ils ont beau dire et écrire, ces courageux et
impétueux spéléologues de l’âme, ces écrivains d’exception, mais encore les êtres
au cœur simple penseront toujours que les bonnes actions sont toujours saluées
par la reconnaissance. Les écritures sacrées
renseignent que la plupart des hommes ne savent pas dire merci. C’en est devenu
une « loi » qui coule dans la nature même de l’homme. « Ah que
l’homme est vache !» Ils sont nombreux les hommes indignes et malveillants
qui ont la haine au croc. Contre leurs maîtres
ils ourdissent les complots les plus infâmes. Ils brandissent le poing dans le
dos du bienfaiteur naïf qui s’en va tranquillement le dos tourné à cet être
mesquin qui cache avec l’habileté du diable la haine la plus terrible. Peu s’en faut que l’imprudent bienfaiteur
trébuche sur l’ombre même
du criminel en puissance. La haine est parfois surréaliste. Il est alors surpris, s’il a le temps de
l’être, par une réponse aussi illogique que la félonie envers un ami, un
protecteur. Fatoumata Moctar Ndiaye a certainement été imprudente comme tous
ceux qui ne veulent pas croire au mal.
La mécanique du meurtre est alors enclenchée. Les
plupart des petites gens considèrent les actes de bienfaisance comme une forme
d’humiliation et d’écrasement. Les plus
grands actes de générosité attisent dans leur âme sombre la flamme noire de la
trahison et du refus de reconnaissance. Pour la plupart des gens dire merci
c’est se rabaisser. Quelle sottise que cette manière insensée de regarder
la main qui donne! Il faut plus pour
écraser le moi. Alors comme chien il faut mordre la main par qui le Créateur
nourrit les êtres qui mangent et boivent à satiété, se reproduisent et
périssent en poussière. Quel sort peu enviable ! La poussière est le
meilleur ami de l’homme, elle est l’homme même.
C’est incompréhensible pour les gens simples qui
veulent préserver la pureté de leur âme. Pour eux, penser à certaines choses
est une manière détournée de s’aliéner,
d’adhérer au crime. Alors ils sont pris par surprise ! La fausse tyrannie
des gens riches, leur arrogance qui n’existe que dans le regard des pauvres
gens est un mobile qui détermine tout. « Ils ne peuvent pas être
sincèrement bons ces gens là, ils sont trop riches pour l’être. Si ça se trouve
ils ont volé leur argent. Tous les riches sont de voleurs. Ils ont tout
ratiboisé nous laissant pantois près de
la table de jeu. Il faudra poignarder le fils et égorger la mère. » Il
l’a fait, le nommé Samba Sékou Sow. Il faut un certain cran pour tuer. La lame
qui vrille, les carotides déchirés, le gargouillement, le sang qui gicle, le
monde qui tourne, les restes de vie qui font
se débattre ce corps fébrile tombeau de l’âme. L’horreur ! La
plupart des tueurs achèvent leurs victimes pour les faire taire. Les meurtriers
ont peur, ils sont lâches. Peu s’en faut qu’ils fassent dans leur culotte comme
certains suicidés. Tout cela est la défaillance de l’ordre humain.
C’est alors qu’entra en scène Sow le chauffeur à la
mine patibulaire. « Le moi est exécrable » dit-on. L’égoïsme est une
forme de désespoir quant au salut de
l’autre. Le désespoir est un péché froid, celui de Samba Sow est le manque
d’espérance en cette femme sa patronne et sa future belle famille, cette
société inutilement matérialiste et consommatrice de produits périmés et même
toxiques. Le matérialisme des sociétés
sous-développées est un matérialisme imbécile, improductif. Un écrivain désaxé
pour les uns et conservateur-catho pour les autres a écrit : « L’enfer c’est le froid », Georges Bernanos. Le plus froid des péchés est
le désespoir qui est la disparition de l’espérance en soi. Le désespoir est une
trahison de sa propre personne. Une forme de suicide, de fuite au devant des
choses. Les désespérés ont le destin des « chairs à canon ». Ils se
jettent littéralement à corps perdu dans ce qui leur donne une mort indigne.
Tuer son bienfaiteur est un blasphème, un acte immoral, une défiance contre
Dieu.
« Une société
dont la machine à fabriquer le Bien est en panne est une société malade. Le
Bien est une question de transcendance mais aussi un problème de possibilité
sociale. Pour beaucoup de citoyens les logiques de survie auxquelles ils sont
confrontés depuis les années d’ajustement structurelle diminuent les capacités
de choix d’ordre moral et poussent à des solutions à la limite de l’honnêteté.
Je pense aussi qu’il ya au Sénégal un problème de consensus moral. Depuis des
années nous avons du mal à s’accorder sur ce qui est bien et ce qui est
mauvais. Les espaces de consensus social se réduisent comme peau de chagrin. De
plus en plus des hommes et des femmes passent à l’acte : corruption,
concussion, prévarication, parjure, prostitution publique, détournements de
biens publics, transhumance des électeurs, manipulations de toutes sortes
allant de la sorcellerie au mensonge éhonté, violences physique et symbolique
sur les citoyens sans parts … »
Ceci a déjà été dit et écrit il ya belle lurette. La
répétition est une forme de gravitation qui révèle la persistance et même la rémanence
d’un phénomène douloureux, lancinant autour d’un point fixe. C’est à croire que
nous avons un destin de toupie. Tournant sur nous-mêmes comme un enfant dans
son jeu, nous ne sommes même pas capables de jouir du vertige des bonnes choses
qui élèvent l’âme. Ceci n’est que l’expression de la difficile évolution des
sociétés humaines.
Khalifa Touré
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