vendredi 22 décembre 2017

Oumar Ibn Saïd, un esclave noir étrangement prédestiné( 1)

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« Au nom d’Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux. Béni soit celui dans la main de qui est la royauté, et Il est Omnipotent/Celui qui a créé la mort et la vie afin de vous éprouver (et de savoir) qui de vous est le meilleur en œuvre, et c’est Lui le Puissant, le Pardonneur. /Celui qui a créé sept cieux superposés sans que tu voies de disproportion en la création du Tout Miséricordieux. Ramène [sur elle] le regard. Y vois-tu une brèche quelconque?/ Puis, retourne ton regard à deux fois: le regard te reviendra humilié et frustré. » Coran Sourate 67 Verset 1 à 4.

Il est des vies qui valent plusieurs vies tellement elles sont remplies de richesses, de souffrances incroyables et  de questionnements insolubles. Celle d’Oumar Ibn Saïd, cet érudit, éminent lettré en langue arabe, grand homme de Dieu est l’une des histoires les plus étranges. Né en 1770 d’une famille très riche  dans l’actuel   Fouta Toro  (au Sénégal) Oumar fils de Saïd ou Saidou et d’Oumm Hani a passé plus de  vingt cinq années de sa vie à étudier les sciences islamiques. Il fallait  être d’une grande ouverture d’esprit et culturellement averti pour donner ces noms à sa progéniture. Tous les Saïd sont des Muhammad et Oumm Hani est la tante maternelle du saint prophète (Psl), celle dont la chambre a été le point de départ du voyage nocturne. Il est donc facile de deviner l’environnement intellectuel et spirituel dans lequel Oumar Ibn Saïd et ses parents baignait en ce milieu du 18eme siècle.  Mais notre homme partira, il va brutalement quitter le continent selon un décret céleste au contenu qui restera secret si ce n’est pour les métaphysiciens qui connaissent le langage des preuves implicites. En 1807, il va être  capturé par les armées Bambaras au cours d'un conflit militaire qui les opposait aux Peuls, puis vendu aux trafiquants d'esclaves et emmené aux États-Unis. Il ne reviendra plus jamais. Il n’a pas eu la « chance » de l’esclave d’origine guinéenne Ayuba Souleymane Diallo qui est rentré après une pérégrination extraordinaire. 

Mais ce qui sort de l’ordinaire et qui est formidable, c'est-à-dire effrayant, c’est qu’à l’époque personne n’était à l’abri de la capture et de la déportation. Du souverain le plus puissant au roturier le plus costaud en passant par des lettrés, des arabisants, des hommes d’esprit cultivés tous sont partis selon les vicissitudes du destin et l’horloge cosmique qui rythme la chance et la malchance. Mais la fortune d’Oumar Ibn Saïd est douloureusement exceptionnelle. Pourquoi sommes-nous partis ? Qu’est-ce qui explique, par l’intérieur des choses, que certaines « grandes âmes » aient quitté  l’Afrique au-delà de toute explication historique liée à l’économie mercantile, à la prédation « utile et naturelle » et incroyablement perverse ? De quoi rêvaient les captifs bien avant d’être kidnappé ? Quelle est l’histoire onirique, personnelle et intime de ces frères aux visages noirs contraints de quitter le vieux continent. Oumar Ben Saïd et ses milliers de frères noirs ne sont pas des esclaves comme on le dit façon impropre et légère, ce sont des captifs. On ne nait pas esclave, on le devient par la contrainte et la force brutale de l’homme notre prochain, qui par le même acte devient un être lointain. Alors tous les crimes sont permis.

C’est à croire qu’Oumar Ben Saïd Al Fouti devait partir selon un décret et un vœu incompréhensible formulé par les anciens. C’est à partir de cette « hypothèse originelle» que l’on doit envisager la continuité spirituelle et  génétique du peuple noir depuis le commencement des choses. Selon le métaphysicien Sénégalais Habib Mbaye fils de Hadj Mbaye Déguène disciple de Hadji Mansour Sy le grand,  les ancêtres ont « programmé » le départ, ils l’ont voulu selon un vœu incroyable dont l’encodage reste  à dévoiler. Le peuple noir est toujours en marche, un jour viendra, nous saurons ! Et si l’âme d’Oumar Ibn Saïd pouvait nous parler à partir de l’Isthme des morts, le Barzakh de la station intermédiaire, nous saurions tout. Mais notre homme arrivé malgré lui aux Amériques a pris le soin de nous parler, il a beaucoup écrit après mille et une souffrances. Il va falloir interroger tous les domaines subtils de la connaissance pour percer certains mystères. La science Irfanique (métaphysique) qui questionne l’intemporalité est rarement convoquée en la matière or toutes les questions qui touchent l’homme ont une dimension ontologique. L’étoile d’Oumar Ibn Said a quitté son siège provisoire pour aller se loger dans un autre firmament. Cet homme et tant d’autres était destiné à transmettre la lumière mohammadienne. Il n’est jamais revenu, il n’a pas pris femme, il n’a aucune descendance, le contraire aurait étonné. Il n’est pas le seul parmi les maitres-pionniers à connaitre un tel destin. Il  est des lumières qui n’admettent pas la transmission lignagère.  Aujourd’hui il est vénéré aux Usa et son œuvre est cité partout.  

C’est ainsi que notre homme comprenant toutes ces choses a tenté de tout ramener à l’origine divine de l’homme et sa liberté inaliénable que seul le grand détenteur du pouvoir suprême lui a conféré. Alors Oumar Ibn Saïd fit une exégèse remarquable de la Sourate  67 Al Moulk en rapport avec sa  situation d’esclave et l’ignorance et l’inculture et l’incivilité de tous ceux qui pense qu’un homme peut être supérieur à un autre au point de le posséder comme une marchandise et de le vendre.
«  Certes, Nous avons honoré les fils d'Adam. Nous les avons transportés sur terre et sur mer, nous leur avons attribué de bonnes choses comme nourriture, et Nous les avons nettement préférés à plusieurs de Nos créatures. » Coran Sourate 17 verset 70
Ceux qui sont partis par les mers Noé, Ulysse, Bakary II,   Oumar Ibn Saïd, Ayuba Souleymane Diallo, Ahmadou Bamba, le grand Cheikh Hamallah dont l’histoire est encore à raconter et toutes les  grandes figures inconnues, méconnues, ignorées ou oubliées ont perpétué les grandes vertus et la patience permanente à leurs manières différentes et selon des fortunes particulières. Ils ont  vogué à bord des tristes caravelles,  tous autant qu’ils sont de la grande famille de l’humanité, ils ont eu le souci du métissage et de la quête universelle. C’est  une force implacable  que de partir par les mers qui pendant une période immémoriale a recouvert presque la terre entière. Le souci de la mer, le pied marin, l’intrigue et la fascination magique du moutonnement infini de la mer peuplée d’êtres multiples, de créatures étranges sont parmi  les grands fantasmes de l’homme.  Mais il est des départs inénarrables, des « partir » aux senteurs de parturientes, des adieux qui ne nous mènent pas à Dieu mais entre les mains des hommes qui sont les vrais démons qui n’attendent pas trois heures du matin pour sortir. La traite négrière s’est faite à midi, par des démons de midi  « sur les routes de Midi » ! Autant dire en plein jour.  

  Oumar Ibn Saïd est certainement de ces grandes âmes prédestinées. Il était naturellement surpris et interloqué d’être capturé et vendu à des brigands marchands d’esclaves et des Nassaras qui ne savaient rien de sa culture d’origine. Il écrira plus tard une autobiographie d’une tristesse larmoyante, pleine de nostalgie et de regrets, le déracinement est la pire des tortures : "Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. Remerciement à Dieu, pour sa bonté, sa générosité et ses bienfaits. Je ne peux écrire ma vie, ayant beaucoup oublié de ma langue ainsi que de la langue des arabes. De plus, je ne maitrise qu'un peu la grammaire et le vocabulaire. Oh mes frères, je vous le demande, au nom de Dieu, ne me blâmez pas, pour mes yeux qui sont faibles au même titre que mon corps. Mon nom est Omar ibn Saïd; mon lieu de naissance est Fouta-Toro, entre les deux rivières... Là vint une grande armée dans notre pays. Ils ont tué beaucoup de personnes. Ils m'ont capturé, et emmené dans l'océan, et vendu aux mains d'un chrétien qui m'a acheté et emmené en bateau dans l'océan. Nous avons voyagé dans l'océan pendant un mois et demi jusqu'à ce qu'on arrive à un endroit appelé Charleston."  Personne ne peux imaginer la fracture morale et les blessures internes d’un homme qui durant toute sa vie a été éduqué selon le précepte et la philosophie de «  Wa la qad karam-naa Banii Adama » (Certes, Nous avons honoré les fils d'Adam).  Tombé par  malchance   entre les mains d’un méchant propriétaire d’esclave, il subira les pires maltraitances. Il s’enfuit vers le nord plus « clément », aperçoit au loin une maison de Dieu, une église, attiré par les effluves divines, cet impérieux besoin musulman de prier, advienne que pourra il entre dans le temple et innocemment il va être capturé dans la maison de Dieu. Il faut dire que des esclavagistes étaient nombreux à l’époque comme ce fameux Charles Lynch  d’où est tiré le verbe anglais to lynch issu de The Lynch law (« la loi de Lynch »).
Il finira entre les mains  du général James Owen de Bladen County son propriétaire jusqu’à sa mort en 1864 à l’âge de 94 ans. Oumar Ben Saïd a disparu la même année où El Hadji Oumar Al Foutihou s’est éthéré à partir des falaises de Bandiagara. Il aurait été pris à l’époque où les puissantes armées Bambaras du Kaarta ont attaqué le Fouta sous le magistère du preux Almamy Abdel Qader Kane, c’est en cette même année 1807 que l’Almamy a été assassiné. 
A ceux qui sont partis par les mers, la terre, le désert et ses sables mouvants,  la terre-mère pleure encore le voyage forcé.


Khalifa Touré

3 commentaires:

  1. je souhaiterais que la presse publie ces genres de productions scientifiques.la découverte nourrit la pensée
    merci khalifa de la part de tn ami mouhamed

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  2. S'il vous plaît essayé détaillée un peu vos dire quand vous parlez des imbroglio entre deux communautés pour que l'ont puisse comprendre ce qui s'est réellement passé pendant ces temps là.

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  3. Vraiment. Khalifa t'as réalisé un oeuvre important et merci

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