samedi 8 décembre 2012

Mais à quoi servent les media?





Depuis l’avènement de la démocratie moderne, les media, à travers leurs différents supports d’expression, sont apparus comme l’un des éléments les plus constructifs de toute société qui se veut ouverte. Mais les media n’ont pas toujours bonne presse. Il existe d’éminents intellectuels, des savants illustres et même de grands artistes qui ont une attitude tellement défiante vis-à-vis de la presse qu’ils boycottent littéralement la télévision, Internet et même les journaux.


Cette méfiance des intellectuels vis-à-vis des media ne date pas d’aujourd’hui. Déjà à la fin du dix-neuvième siècle le grand écrivain Russe Léon Tolstoï, un des plus éminents pourfendeurs de la presse bien avant le sociologue Français Pierre Bourdieu, a écrit dans un ton polémique la chose suivante : « L’activité journalistique est un bordel intellectuel ». Plus loin il dit : « Cette année je ne reçois pas une revue, pas un journal et je trouve cela très sain ». Il est difficile de trouver mieux dans la critique anti-journalistique ; c’est le sommet. Mais il est à noter la posture dogmatique et paternaliste du vieux comte Léon Tolstoï. Remarquez que la plupart des savants sont dogmatiques. C’est une vertu chez eux.

Il est des hommes qui peuvent se passer des media. La capacité de voire plus loin que d’autres leur permette d’entrer en médiation avec les événements du monde et comprendre leur soubassement sans l’intermédiation de la radio, de la télé ou de la presse écrite ; Claude Lévy Strauss ne regardait pas la télévision. Certainement pour des raisons de santé intellectuelle, pour éviter la pollution médiatique. Mais tout le monde ne peut pas se payer le luxe de « snober » les media. Les media sont très utiles sans être pour autant nécessaire.

En vérité Tolstoï n’abhorrait pas la presse, il détestait plutôt le pouvoir et il savait que la presse allait devenir un pouvoir. S’il avait vécu jusqu’ à nos jours il allait peut être tomber des nues devant une presse devenue le quatrième pouvoir comme on le pense aujourd’hui à tort ou à raison. L’affaire des écoutes téléphoniques commises par un journal anglais est le symptôme des media qui se veulent pouvoir absolu. Comme Big Brother et tous les pouvoirs qui veulent tout contrôler, le Tabloïd anglais à l’image de journaux d’aujourd’hui sont devenus un danger qui menace la vie privée et la liberté des individus. Ceci est un paradoxe dans les sociétés modernes. Comment la presse peut aller à l’encontre de la liberté elle qui est sensée l’exprimer ?

 Les lecteurs et consommateurs d’informations ne sont pas exempts de reproches. Le gout immodéré et même morbide pour l’information des lecteurs-voyeurs qui sont à l’affut des moindres potins et des chiens écrasés servis gracieusement par des journaux sans scrupules est devenu un mode de vie en société. C’est l’une des raisons pour lesquelles il existe même des journaux réputés « sérieux » qui font en réalité de la presse de caniveaux déguisée. En vérité l’audimat est le mal qui tue la presse sérieuse.

La presse est devenue un grand pouvoir ; et comme tous les pouvoirs l’on oublie qu’elle a une grande capacité de nuisance. Ils ne s’en rendent pas compte mais certains ténors de la presse sont en vérité sur une posture de pouvoir. Le pouvoir n’est pas que politique. De grands spécialistes et acteurs de la presse mondiale pense d’ailleurs que la chose que l’on appelle aujourd’hui « journalisme d’investigation » qui peut conférer à son auteur un grand pouvoir de pression, n’est pas en vérité du journalisme puisqu’il risque d’excéder les prérogatives du journalisme classique et heurte la déontologie. Le débat est ouvert.
A ce propos l’historien et démographe Emmanuel Todd a dit : « La capacité d’illusion et de projection des media est particulièrement forte dans une société atomisée dont ont disparu les croyances collectives structurantes »



Il ya dans ce pays de« grands » journalistes  qui en vérité participent du pouvoir, même s’ils sont dans une position de dénonciation contre telle ou telle affaire d’Etat. C’est très complexe. Pour comprendre cette affaire « une analyse de contenu » de la presse nationale est nécessaire pour approfondir la réflexion sur les rapports entre l’ETAT et la PRESSE dans une perspective d’une société démocratique équilibrée. La presse est l’une des structures de la société civile les plus exposées face à l’ETAT. Il est vrai que du point de vue de la forme, l’Etat et la presse prennent des directions contraires mais au fond la presse dans sa nature de véhicule d’idées devient le relais naturel des éléments de l’Etat y compris la presse privée. C’est l’Etat qui invente l’atmosphère idéologique dans laquelle baigne toute la presse (presse d’Etat comme presse privée).

Le néo-marxiste Antonio Gramsci a raison de penser que l’une des fonctions de l’Etat est de « parasiter » la société civile réelle par un processus de médiation, peut-on dire. Et la presse, privée comme étatique, répercute de façon « irresponsable » tous les éléments de domination de la classe dirigeante élargie.

La réflexion sur la liberté de la presse doit aller dans cette direction. Cette réflexion dépend à coup sûr d’une analyse approfondie de la notion de société civile. Une presse doit être indépendante mais elle ne peut pas être neutre. La neutralité est irresponsable. Un journal peut rester crédible, se réclamer de la droite, de la gauche ou du centre et rester indépendant c’est-à-dire non partisan, politiquement s’entend. On peut traiter une information sous le prisme idéologique du libéralisme ou du socialisme. Cela ne pose pas problème dans une société démocratique. Ce qui peut déranger c’est l’embrigadement, l’inféodation et la corruption.

Par ailleurs un journal peut dépendre financièrement de bailleurs de fond et d’actionnaires mais rester libre. Cela est possible dans une société démocratique. Tout est question de liberté et de responsabilité. Un homme qui n’est pas libre, philosophiquement parlant, ne peut pas faire un bon journaliste.

. Regardez au Sénégal la manière peut prudente et disproportionnée avec laquelle les media donnent la parole aux différents candidats aux « hommes publics ». Cette propension des media à surexposer des les gens d’en haut déjà connus de l’opinion est inefficace d’un point de vue de la production démocratique. Elle contredit le sacro-saint principe de la curiosité journalistique.

Si Barack Obama était Sénégalais il allait courir derrière les media pour obtenir une interview parce qu’avant 2004 personne ne le connaissait dans son pays. La presse est en train de mettre en selle  et de privilégier de façon « inconsciente » une certaine classe de privilégiés. La presse, privée et étatique, est un formidable appareil idéologique aux mains des dirigeants. La presse a peur d’aller vers l’inconnu, de sortir des sentiers battus même si elle est consciente que le connu est peut mauvais ou dangereux.

Par ailleurs le fléau qui frappe aujourd’hui la presse est « l’assèchement culturel » qui touche bon nombres de journalistes. A ce sujet, remarquez le propos fort juste du philosophe et médiologue français Régis Debray : « Un journaliste c’est quelqu’un qui lit les autres journalistes ». Autrement dit les journalistes pour la plupart ne lisent pas du tout ou lisent peu. Cela est tellement juste qu’au Sénégal dans le monde de la presse il est à remarquer un phénomène qui s’assimile à du mimétisme lexical. Il suffit qu’un « ténor » de la presse ou un homme public utilise un mot ou tournure en langue française que les autres s’en emparent. Alors le mot est vidé de son sens propre. Exemples : Strapontin, Station ministériel, les grands chantiers (pour dire les projets) etc. Le phénomène ne date pas d’aujourd’hui.

En 1993 lors du fameux contentieux électoral qui a vu la démission du juge Kéba M’baye, Mme Andresia Vaz à qui l’on avait confié le dossier avait utilisé l’expression française « j’ai pris sur moi ». Alors toute la presse s’est mise à reprendre cette expression comme si elle venait d’être inventée. Le mimétisme lexical révèle une certaine paresse « culturelle » mais elle tue surtout l’identité éditoriale et la parole journalistique. Le journalisme ce n’est pas de l’art mais un journaliste doit avoir un minimum de talent. Les simples techniques apprises en six mois ne suffisent pas à faire un bon journaliste. Un journaliste doit être cultivé (au passage la culture générale ce n’est pas la culture).

Les grands journalistes de ce monde sont de redoutables lecteurs. Si le journalisme n’était pas un exercice excitant au plan intellectuel, d’éminents penseurs comme Raymond Aron ou Ernest Hemingway n’exerceraient pas ce métier. Au Sénégal des écrivains talentueux comme Boubacar Boris Diop et Ibrahima Signaté sont d’abord passé par le journalisme.

Certains journalistes sont conscients des dangers qui guettent la presse. En effet beaucoup de professionnels de la presse décrient de façon objective les dérives de la presse sans tomber dans l’auto-flagellation ou la haine de soi. Certaines critiques « politiciennes » tendant à noircir tout le tableau de la presse sont tendancieuses et à la longue improductives. A qui ferait-on croire qu’il n y a plus de bons journalistes au Sénégal, que tous les journalistes sont des « ripoux » ? En vérité la crise de la presse Sénégalaise c’est la crise de la société sénégalaise, c’est surtout la crise de la démocratie Sénégalaise.

Lorsque le secteur de l’éducation sombre dans une crise telle que l’écrasante majorité des élèves qui passent le BFEM obtiennent zéro en dictée et que des enseignants s’expriment « douloureusement » en français il y a lieu de comprendre le déficit de formation intellectuel manifeste de certains journalistes. C’est l’Education Nationale qui fabrique les journalistes, oublie-t-on souvent.
La presse d’un pays est à l’image de la démocratie de ce même pays. Le modèle démocratique d’un pays n’a que la presse qu’elle mérite. Le Sénégal est une démocratie qui se veut institutionnelle et formelle, ce n’est pas une démocratie sociale.

Par ailleurs le syndrome du journaliste-VIP a largement contribué à la dégradation croissante du niveau d’expression et de traitement de l’information au Sénégal. Pour la même raison on assiste aujourd’hui à l’ « embourgeoisement » des « ténors » de la presse. En effet les plumes les plus brillantes du Sénégal ont cessé d’écrire créant un vide dangereux pour la qualité de l’information. Des jeunes atteints par la répression sociale s’engouffrent dans les brèches provoquées par ces nouveaux nababs de la presse qui ont déserté les rédactions. L’extrême précarité qui frappe certains journalistes qui perçoivent des salaires qui enlèvent toute dignité à l’homme est l’un des facteurs favorisant la corruption et l’inféodation.

Il y a lieu de s’attarder aussi sur le profil de certains patrons de presse dont la formation et la culture est à mille lieux de la préoccupation journalistique.



Khalifa Touré

 



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