mercredi 2 janvier 2013

RELIGION ET POLITIQUE VONT-ELLES ENSEMBLE ?



«  Au SÉNÉGAL  LA RELIGION RÈGNE MAIS ELLE NE GOUVERNE PAS »

Le devenir des sociétés humaines, toutes les sociétés humaines, dépend de la manière dont leurs élites politiques et religieuses ont abordé et tranché la problématique religion et politique.
Toutes les grandes nations, les peuples historiques, ont à un moment donné, surtout dans les périodes de construction fondamentale ou les moments de rupture historique, abordé et tenté de donner une réponse définitive au débat religion et politique, en privilégiant tel  ou autre aspect de la question.

Il existe des pays où les élites ont tranché politiquement le débat religion et politique. C’est le cas de tous les pays du nord, à quelques variantes près où la religion est remarquablement prononcée. Les États- unis constituent une relative exception où la religion est l’une des premières institutions sinon la première comme le pense Alexis De Tocqueville, auteur du fameux «  De la démocratie en Amérique ». Cela dit, le pays de l’oncle Sam reste un état laïc.

Les pays du nord, appelés abusivement « l’occident », par les africains, sont entièrement sécularisés même si l’idée d’une sécularisation « occidentale » des grandes démocraties du nord est nuancée par le philosophe Allemand Jürgen Habermas.
D’autres  pays ont «  résolu » religieusement le débat religion et politique. Nous  trouvons dans cette catégorie un exemple unique et intéressant à analyser d’un point de vue scientifique : L’Arabie Saoudite. Cette monarchie mi- laïque mi- religieuse est loin de l’image moyenâgeuse qu’on lui colle si l’on en croit Pascal Ménoret. Le chercheur  en Islam, François Burgat, par ailleurs préfacier du livre  de Ménoret (l’énigme saoudienne) démantèle de façon scientifique toutes les idées préconçues sur l’Arabie-Saoudite. Il affirme par ailleurs que même les musulmans produisent et reproduisent des clichés sur leur propre communauté.  

 Nous avons aussi la république islamique d’Iran et d’autres modèles très nuancés comme la Turquie et le Soudan. (A propos  de l’Iran lisez, L’Iran ou comment sortir d’une révolution religieuse, d’Olivier Roy et Farhad Khosrokhovar). Les  deux auteurs ont analysé avec beaucoup de profondeur les dynamiques religieuses, politiques et sociales qui traversent le modèle iranien depuis la révolution de 1979.
Le Sénégal et d’autres pays à forte sociologie musulmane anciennement colonisés, ont à leur tour été confrontés à ce lancinant débat. Ils peinent aujourd’hui à le trancher librement.  Contrairement à ce que l’on pense il n’existe pas un consensus autour de la question religion et politique. Lorsque Moriba Magassouba  a écrit (Sénégal, demain les Mollahs) il a posé  le caractère mouvant et non définif de la question religion et politique au Sénégal. Il reste constant que l’islam politique n’est pas suffisamment étudié au Sénégal.

 Magassouba ne fait pas œuvre de prophétie mais il a eu le courage de  poser dans cet ouvrage une «  hypothèse radicale » : l’hypothèse islamiste au Sénégal. S’il est vrai qu’au Sénégal il existe depuis les années cinquante et même bien avant cette période, un islam associatif plus ou moins en rupture avec l’islam confrérique traditionnel et non-politique, l’islamisme politique est toujours à l’état d’hypothèse au Sénégal.C’est un islamisme hypothétique non dans les principes mais dans la réalité politique sénégalaise. 

Par ailleurs l’apolitisme des formations confrériques au Sénégal est un phénomène simplement historique, elle n’est pas une donnée essentielle et constante. La compulsion minutieuse de plusieurs données politico-religieuses dans l’histoire ancienne et actuelle du Sénégal démontre le caractère prégnant des assauts de la religion dans le monde politique.  Le parti de la solidarité sénégalaise(PSS) créé dans les années 6O par le marabout tidjanite  Cheikh Tidiane Sy n’a pas connu de suite politique mais il n’en demeure pas moins que ce fut un événement à ne pas isoler dans la problématique religion et politique. IL n’y a qu’à remarquer ultérieurement l’orientation non moins  « politique » du mouvement religieux Mustarchidine Wal Mustarchidate pour comprendre que la question religion et politique au Sénégal évolue dans un champ plus large. Il existe d’autres modalités sociales qui entrent en ligne de compte dans le phénomène politique.

 Le phénomène du « ndigeul politique » qui a connu un cours évolutif jusqu’à frôler l’effritement en 2000, est l’une des formes de participation politique qui pendant longtemps a défié la démocratie Sénégalaise et la citoyenneté politique. Le « ndigeul »est une étape «normale » dans le processus de maturation de notre système politique ; une étape dans la longue marche vers la pleine citoyenneté qui suppose l’émergence de l’individu en tant que sujet libre dans une cité  digne de ce nom. Il n’y a pas de citoyenneté en dehors de la cité. La disparition définitive du « ndigeul » marquera le début d’une nouvelle ère politique et l’émergence d’une démocratie mature.

Au Sénégal le religieux est le principal codex qui informe de façon constante l’action politique. Mais il n’y a jamais eu dans l’histoire récente une grande mobilisation politique ouvertement religieuse qui propose un projet de société. Ce grand saut qui peut paraitre périlleux selon les acteurs de l’islam fait redouter une tentation de « sécularisation » de l’islam.  Mais paradoxalement  depuis le PSS de Cheikh Tidiane Sy jusqu’à nos jours, il y eut plusieurs tentatives plus ou moins crédibles chez quelques religieux de prendre la politique, si ce n’est par l’islam, mais par « une rhétorique de la demande morale » par opposition à la demande sociale. Cette forme d’islamisme inachevé a donné Cheikh Abdoulaye Dieye et Imam Mbaye Niang. Mais les choses sont toujours à l’état d’hypothèse malgré l’irruption spectaculaire du marabout ancien gauchiste Serigne Mansour Sy Djamil qui a décroché quatre postes de député lors des dernières élections législatives.

La grande difficulté est que l’espace publique est le domaine par excellence du politique. L’espace publique se conquiert par la raison et le dialogue. A ce stade il faut noter deux grandes illusions qui ont frappé les sociétés qui ont privilégié l’un ou l’autre modèle (le modèle politique et le modèle religieux). Les grandes démocraties du nord ont pensé illusoirement avoir choisi la raison au détriment de la foi en tranchant politiquement la question. Les autres ont aussi sombré dans la fiction de la foi triomphant définitivement sur la raison en prônant  la solution religieuse stricto-sensu. Or l’évolution politique et sociale de ces différentes sociétés a démontré que la problématique religion et politique n’est pas une équation à résultat absolu. L’absolutisme n’est pas que religieux quelques fois. Il existe aussi un absolutisme politique, un absolutisme « laïc ». 

Le débat houleux en France autour des questions relatives aux signes religieux ostentatoires et l’intervention de l’Etat à travers une commission ad hoc est un exemple suffisamment illustratif pour montrer que la loi de 1905 sur la séparation entre l’Eglise et l’Etat est sur le point d’épuiser sa validité historique, bousculée par les coups de boutoir d’une société de plus en plus plurielle.
Même dans les grandes démocraties du nord où politique et religion semblent s’opposer, la différenciation ne semble pas toujours jouer. En « occident » la politique a visité et revisité la religion pour plagier ses schèmes les plus puissants. Aussi le penseur Allemand Karl Schmitt a-t-il raison d’écrire dans Théologie politique que « tous les concepts prégnants de la théorie moderne de l’Etat sont des concepts théologiques sécularisés ». Le concept théologique le plus étrangement usité même par les laïcs les plus radicaux est la notion de « grâce présidentielle ». Les juristes d’aujourd’hui oublient que la notion de grâce  appartient au vocabulaire religieux. La définition de cette notion a opposé violemment les jansénistes et les jésuites au 18eme siècle (lisez les provinciales de Blaise Pascal). L’idée de grâce présidentielle est l’une des survivances les plus têtues de la monarchie de droit divin.  

Quant à l’islam, c’est une religion globalisante mais à structure sphérique. En Islam chaque sphère obéit à une «  jurisprudence » spécifique. La politique est l’une des modalités de l’islam parmi tant d’autres. Mais elle se déploie dans une sphère qui lui est propre. L’erreur de beaucoup de projets « islamiques » c’est d’avoir établit un rapport de primauté et de sujétion entre politique et religion. Or en Islam  religion et politique entretiennent des relations d’intelligence et non des rapports de primauté. En ce sens religion et politique se séparent pour ensuite se retrouver sur le terrain des valeurs, de l’éthique et de la morale. Les «  islamiques » gagneraient à revisiter la notion de globalité qui est leur cheval de bataille.

L’on oublie par ailleurs que les théologies les plus désastreuses au 20eme siècle(le communisme et le nazisme)  sont des «  religions » séculières. Leur monstruosité réside dans l’imposture morale et philosophique qu’ils ont entretenue c’est à dire créer une société parfaite, un homme parfait, offrir le paradis à l’homme sur terre, ce qui n’a jamais été le projet des religions révélées. Voilà la grande « illusion », comme le dit si bien le grand historien François Furet.

La force et la légitimité des élites résident dans leur capacité à imaginer de façon récurrente des schèmes de rechange pour rénover les modèles politiques et religieux vieillissants. Les modèles sociaux les plus équilibrés trouvent généralement leur force dans la capacité à proposer des schémas qui peuvent se régénérer. C’est le grand défi des pays musulmans d’une part et des pays africains de l’autre.

Khalifa Touré   



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