« C’est lorsqu’il est abattu qu’on mesure mieux
la grandeur d’un arbre.» Carl Sandburg
S’il existe une leçon à tirer de la courte
vie du footballeur Sénégalais Jules François Bocandé, c’est
bien le sens du patriotisme. S’il y avait suffisamment de Bocandé
parmi les hommes politiques qui ont la charge des affaires publiques dans nos
pays, il y aurait probablement un début de changement. On peut tout reprocher à
Jules Bocandé sauf un défaut de patriotisme. Combien de fois a-t-il
sacrifié sa personne et sa carrière de footballeur professionnel pour
répondre à l’appel des couleurs nationales ? Suspendu à vie de l’équipe
nationale il n’a pas hésité à revêtir fièrement le maillot national après avoir
été amnistié.
Depuis lors Bocandé n’a eu de cesse de
démontrer hardiment un patriotisme débordant à maintes occasions. N’a-t-il pas
hésité à injurier délibérément un arbitre de football en France pour écoper
d’un carton rouge, histoire de pouvoir se libérer et venir jouer en équipe
nationale ? Bocandé n’a jamais boudé l’équipe nationale, même si
l’occasion lui en a été offerte à plusieurs reprises par des dirigeants qui se
défaussaient sur lui en plus d’un public trop exigeant.
Après le fameux Caire 86 qui s’est soldé
par une élimination prématurée de l’équipe nationale par la Côte-d’Ivoire des Youssouf
Fofana et Abdoulaye Traoré, Bocandé a été lâchement livré à la
vindicte populaire qui l’accusait d’avoir manqué de sérieux et de concentration
en faisant une virée nocturne avec la diva « zaïroise » Tchyala
Mwana. Tout cela était absolument faux comme en témoigne l’adjoint du coach
de l’époque, l’illustre Yérim Diagne. Les paparazzis l’avaient confondu
avec un autre footballeur Sénégalais qui sortait d’une boite de nuit aux
bras d’une femme. Ce jeune footballeur dont le profil ressemblait à celui de
Bocandé était en dreadlocks comme lui. Mais le mal était déjà fait.
Bocandé avait un tempérament fort mais il
était loin d’être fantasque. En 1986, au moment où le fameux débat se déroulait
à la télévision nationale après la débâcle du Caire, il n’a pas hésité à
appeler de la France pour rétablir la vérité, à sa manière, en traitant de « menteurs »
tous ceux qui voulaient lui faire porter le chapeau. Bocandé était une
forte tête qui n’aimait pas qu’on lui marche sur les pieds. Après un
match de coupe de France très tendu livré contre le TFC (Toulouse Football
Club), le brutal défenseur argentin Tarantini l’a cogné au
visage tellement notre Bocandé national lui a donné du fil à retordre
sur le terrain. Et Bocandé de poursuivre le coquin jusque dans les
vestiaires pour le corriger. Malgré tout Bocandé était un cœur tendre qui
pleurait facilement. Un homme sensible qui versait des larmes lorsqu’il avait
du chagrin comme au Caire lorsqu’on l’a accusé d’avoir fait perdre l’équipe, ou
dans les grands moments de joie comme la qualification de l’équipe nationale en
coupe du monde. Bocandé était un passionné, un passionné des couleurs
nationales. Mais le paradoxe est que le monde ne comprend pas les hommes
passionnés. Toutes les erreurs qu’il a dû commettre lui viennent de sa passion
mordante. La passion est une énergie positive, contrairement à l’idée rependue.
« RIEN DE GRAND NE S’EST FAIT SANS PASSION. »
Son courage physique et sa capacité à faire face se sont révélé à maintes occasions. En 1988
avant le dernier match de qualification pour la coupe d’Afrique qui opposait le
Sénégal au Zaïre des Kabongo Ngoy, Ngalula Bwana et Muntubilé
Santos, le grand défenseur Roger Mendy lui a conseillé de ne pas
tirer de penalty au cas échéant. Mais au cours du match Bocandé n’a pas résisté
à la tentation ; il a tiré et raté son coup comme deux ans auparavant au
Caire en match de poule contre la Côte-d’Ivoire. Il n’a jamais eu peur de
prendre ses responsabilités. Bocandé était un personnage, un vrai, sur le
terrain comme dans la vie ; un personnage au sens théâtral du mot.
Son charme inégalé sur le terrain avec ses dreadlocks volant au vent ont
fait chaviré toute une génération d’aficionados du ballon rond. Bocandé est
sans conteste l’un des meilleurs « joueurs de la tête » de tous les
temps aux coté des allemands Horst Hrubesch et Uli Hoenes. Il avait
une tête d’or. Meilleur jeune footballeur Sénégalais, Jules Bocandé
s’est bonifié au fil des années en devenant finalement un buteur futé et même
un technicien très fin malgré sa puissance physique.
L’importance d’un homme se juge à l’aune de son
influence. Jules Bocandé est le modèle d’une bonne génération de
footballeurs africains par ses qualités athlétiques et son intelligence
face aux buts. En effet Bocandé est un buteur hors pair de la lignée de
ses ainés africains comme le Camerounais Roger Milla,
l’Ivoirien Laurent Pokou et le Congolais Ndaye Mulamba. Par sa
longévité en équipe nationale (Quatorze ans) Bocandé a fait rêver deux
générations de Sénégalais. Tous ceux qui
sont de cette génération des années 80 se souviennent de son duel à distance
avec l’élégant Dominique Rocheteau pour décrocher le titre de meilleur
buteur du championnat français. Finalement Bocandé a tenu la dragée haute au
footballeur français à la longue tignasse en marquant vingt cinq buts sous les
couleurs de Metz. L’on ne peut évoquer ce titre de meilleur buteur sans citer
le nom de son coéquipier Carmelo Micciche qui lui a offert l’essentiel
de ses balles de but par un débordement à droite suivi d’un long centre bien
placé sur la tête où un centre en retrait.
Bocandé avait l’esprit d’un chef, un vrai meneur
d’hommes. Il fallait être Bocandé pour mener cette pléiade de footballeurs
d’exception à Caire 86 que sont le véloce et exceptionnel gardien de but Cheikh
Seck dont le talent rappelle celui du légendaire Mansour Wade, le
très talentueux Roger Mendy qui est sans nul doute le plus grand
libéro que l’Afrique ait connu, le très calme et non moins stoppeur Racine
Kane, le génial Oumar Gueye Sène
(l’un des meilleurs footballeurs que le Sénégal ait connu), la classe
exceptionnelle de Boubacar Sarr Locotte, le très adroit Amadou
Diop « Boy Bandit », le très rapide et intelligent Thierno
Youm, sans oublier Pape Fall, Joseph Marie Koto, Amadou
Diop « Quenum »,Karim Seye, Mamadou Teuw, Lamine N’diaye et
bien d’autres.
Bocandé restera l’homme qui nous a sorti des
ténèbres d’une longue absence en coupe d’Afrique, d’Asmara 1968 au Caire en
1986. En marquant les trois buts en match retour contre le Zimbabwe, il entra
définitivement dans la légende. Pendant deux générations, on parlait toujours
de Sénégal-Zimbabwe.
KHALIFA TOURE
sidimohamedkhalifa72@gmail.com
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