La plus triste des fêtes est la fête du travail. Fête du travail mais aussi procès
de ce travail qui n’a rien de naturel. Depuis l’invention du patronat et du
capital, le travail est en procès. Il ne l’était pas avant que l’homme ne cesse
d’être entrepreneur. L’homme est né entrepreneur, il n’est pas né employé. Mais
il faut qu’il y ait des gens qui fassent le boulot. Et le sale boulot est souvent du coté des
employeurs. Le travail est une activité d’une rare complexité. Depuis la
révolution industrielle qui a commencé paradoxalement en Angleterre et non au
Japon , le pays le plus animiste du monde, plus qu’une culture c’est un
culte du travail qui s’est installé dans ce monde où la modernité même a fini
par se confondre avec l’activité harassante du travail et l’invention de
machines, trop de machines qui finiront par tuer l’homme. Ce n’est plus le
travail mais le surtravail qui est valorisé.
Les hommes sont foncièrement animistes. L’invention des
machines et plus tard la robotisation progressive fut une tentative de soulager
l’homme mais surtout une projection de nos croyances primitives dans la
machine, une tentative de donner une âme à tout ce que l’homme a fabriqué comme
adjuvant. C’est pourquoi une civilisation comme le Japon sera toujours en tête
dans le processus de robotisation de la
vie. Remarquez ! la course mondiale à la robotisation n’a pas eu lieu.
L’Europe chrétienne et son prolongement américain n’ont pas suivi le processus.
Ce serait une catastrophe. Il est des « progrès » technologiques qui resteront
toujours en marge. Il y va de l’équilibre « spirituel » du monde mais
aussi de la justesse de l’engagement des sociétés humaines dans la valeur
économique du travail. Ne vous attendez pas au débarquement des robots en
Afrique, à moins qu’il y ait une profonde révolution religieuse sur le
continent. Malgré cette inclination quasi « naturelle » à donner une
âme vivante à tout, les africains auraient eu peur des robots, une peur qui
naitrait d’une peur plus profonde : La déshumanisation. Les africains ont
une peur panique de la deshumanisation. Perdre son âme dans le modernisme,
l’atomisation de la famille qu’ils appellent traditionnellement « perte de
valeurs » est le péché le plus mortel en Afrique.
Au reste il ya un culte du travail quasi systémique dans
toutes les cultures africaines. Mais ce qui devra être discuté, approfondi et
soumis à l’esprit critique est notre rapport au temps et au travail. Au-delà du
temps de travail, dont le débat est fort utile dans toutes les sociétés qui
font semblant d’être normales, c’est l’intensité et la fréquence du travail qui
sont en cause pour un continent qui est en processus de développement. A
quel niveau de la vie, le travail
devrait-il être porté pour un pays qui veut accélérer sans se faire mal?
Il est clair que les revenus liés au travail dans un pays comme le Sénégal, ne
pourront jamais faire développer ce pays économiquement. L’intensité et la fréquence
du travail dans le temps, allié au nombre de personnes qui travaillent dans un
système de production fertile et conséquente sont d’une faiblesse telle qu’il
sera difficile d’envisager le développement dans des Etats lilliputiens comme
le Sénégal, le Mali, la Gambie, la Guinée Bissau, le Niger, le Tchad et la
Mauritanie. Les revenus liés au travail sont toujours assujettis à la
démographie. Les plus optimistes diront qu’il faudra faire beaucoup d’enfants. Face aux prévisions de stagnation future-proche
de la population mondiale, il ya des raisons de s’inquiéter. Autant dire tout
simplement que le regroupement en grands ensembles équilibrés pourrait être
envisagé en Afrique. Quant aux revenus liés au Capital, mis à part l’Afrique du
Sud et quelques autres pays qui marchent, ils restent encore faibles.
N’oublions pas qu’à l’origine du Capital il ya le travail, on ne le dit jamais
assez. Tout ce qui peut être en cause est que le Capital soit soumis plus tard
à un phénomène d’accumulation incroyable et effrayant qui provoque de fortes
inégalités et des crises systémiques. A quel pourcentage un pays comme le
Sénégal appartient il économiquement aux sénégalais ? La réponse serait
édifiante. Pour exemple, les États-Unis appartiennent à 95 % aux américains. Autant dire que la possession nationale du Capital
est un critère d’évaluation des inégalités et de l’indépendance économique.
Par ailleurs, depuis le désarmement idéologique mondial, c’est
un syndicalisme à mille visages mais paradoxalement soumis à une neutralité politique qui
tente de supplanter une gauche désemparée qui avait une fine expérience théorique
et pratique du procès de travail. Le procès de travail est essentiellement théorique,
mais non exclusivement. Les syndicats d’aujourd’hui qui cherchent des
raccourcis pour éviter de se « fatiguer » avec les questions
théoriques vont l’apprendre à leur dépens. Ils
ont affaire aujourd’hui à une question aussi théorique et politique (sans être
abstraite) que la libération de la force de travail national dans des
entreprises comme SONATEL, ICS, CSS etc. Les syndicats sont à la croisée des
chemins entre une société moderne qui revendique tout, jusqu’au droit à
l’oisiveté, au gain facile et au bonheur gratuit ou à crédit et un Etat de type
postcolonial qui hésite entre la libération nationale et la soumission facile. Même
différé le procès de travail aura toujours lieu ! Entre temps les patrons
feront la fête aux travailleurs.
Khalifa Touré
sidimohamedkhalifa72@gmail.com
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