Après une
sélection officielle mi-figue mi-raisin en 2015, un palmarès en demi-teinte et
une palme d’or très discutée, le Festival de Cannes de cette année 2016 offre
une sélection plus riche sur le papier. Si l’on s’en tient au nombre important
de grands cinéastes en compétition cette année, on est en droit d’espérer une
rude « bataille » et une clôture en apothéose.
Pedro
Almodovar, l’un des maîtres du cinéma d’auteur européen est de retour sur la
croisette après quelques années d’absence avec « Julieta » d’après
trois nouvelles du Prix Nobel de littérature, la canadienne Alice Munro. Sa dernière apparition heureuse avec
« Volver » en 2006 lui a valu un prix collectif d’interprétation
féminine discerné par le Président du Jury de l’époque, le virtuose
hong-kongais Wong Kar-Wai auteur du fameux film devenu académique « In the mood for love ». Ce dernier n’est
pas présent cette année. Entre temps le cinéaste espagnol est venu avec « La piel que habito », en 2011. Les deux inconditionnels de Cannes sont encore là. Il
s’agit des frères Dardenne qui sont parmi les huit cinéastes à remporter deux fois la palme d’or avec le
serbe Emir Kusturica, le japonais Shohei Imamura, le danois Bille August,
l’américain Francis Ford Coppola, l’autrichien
Michael Haeneke, et le suédois Alf Sjöberg.
Ils sont venus cette année avec « La fille inconnue » une
radioscopie dardénienne de la vie et la disparition d’une fille. Auront-ils
cette année une troisième palme d’or ? C’est fort possible. Le maitre
vivant du cinéma social le britannique Ken Loach qui disait vouloir arrêter le
métier est encore présent avec « Moi, Daniel Blake », un film qui
raconte le combat émouvant d’un malade atteint de cardiopathie, contre
l’insouciance et l’inhumanité. Il pourrait remporter sa deuxième palme après le
très âpre « Le vent se lève ».
Il en va de même pour le roumain Cristian Mongiu, dont le « Bacalaureat » lui vaudra peut-être
une deuxième palme après son second long métrage en 2007 « 4 mois, 3
semaines, 2 jours ». Son excellent « Au-delà des collines » qui a remporté le prix du
scénario et de l’interprétation féminine, montre un cinéaste rigoureux qui
jette un regard d’un réalisme modéré sur les conflits que peuvent générer de
banales rencontres entre les personnes humaines. Son compatriote Cristi Puiu
est venu avec « Sieranevada » qui
a impressionné la critique pour sa mise en scène.
Mais la surprise est venue de "Toni
Erdmann" de l'Allemande Maren Ade. Une palme d’or serait un retour du
cinéma allemand sur la scène internationale. Personne ne comprend « la disparition
subite » d’un cinéma qui figure parmi les plus prestigieux de l’histoire avec des chefs-d’œuvre absolus : « Nosferatu le vampire » de Friedrich Wilhelm Murnau, mais surtout « Sunrise » ; la série
des Docteur Mabuse
et Metropolis de Fritz Lang, Le Cabinet du docteur Cagliari
de Robert Wiene
le film-manifeste du cinéma expressionniste).
Le cinéaste américain Jim Jarmush revient après une longue absence. Depuis « Broken Flowers » qui lui
valu le grand prix du Jury à Cannes en 2005, avec l’excellent comédien Bill
Murray, on l’avait rarement vu sauf en 2014 où il est venu avec « Only
Lovers Left Alive ». Ce musicien est certainement le maître vivant du
Road-Movie à côté de son mentor, l’allemand Wim Wenders. Le
jeune virtuose Québecquois Xavier Dolan revient avec « Juste la fin du monde ». Une
bonne nouvelle, puisqu’il avait annoncé être
très fatigué et vouloir prendre
une pause. Certainement déçu après son terrible « Mommy » qui aurait
pu remporter la Palme d’or en 2014. Mais il rentra « bredouille »
avec le prestigieux Prix du Jury. Il est le second plus jeune réalisateur à remporter
le Prix du Jury après l’iranienne Samira Makhmalbaf en 2000 avec « Tableau
noir » qui avait 20 ans. Le cinéma n’appartient à aucun pays, aucune
classe d’âge. Mais tout est question de culture, de style, de culture générale
et de métier.
Au reste, il faut à la vérité dire qu’il ya eu
des palmes d’or ennuyeuses. Je n’ai pas aimé la noirceur, le dépouillement et
la sécheresse à l’extrême de la première palme de Haeneke « Le ruban
Blanc », « Secrets et mensonges » du Britannique Mike Leigh ne
m’a pas plu, même le devenu culte « Sexe, mensonges et vidéo » sur
la corruption du regard et les rapports pervers avec les images factices de Steven
Soderbergh m’a paru bon mais assez simple. La
palme de l’année dernière « Dheepan » n’est
certainement pas le meilleur film de Jacques Audiard. La palme aurait pu revenir
à « Youth » de Paolo Sorrentino. Quant
à « le Pianiste » de Roman Polanski, « The tree of life »
de Terence Malik, « Amour » de Michael Haeneke, « Entre les murs »,
de Laurent Cantet, le très romanesque
« Barton Fink » de Joël Cohen, ils me sont allés droit au cœur par leur
amplitude. L’intelligent « Pulp Fiction » de Tarentino montre que le
président du Jury Clint Eastwood ne s’est pas trompé en lui décernant la palme
en 1994. « Sous le soleil de Satan » de Maurice Pialat primé en 1987
est un film presque parfait, que l’on peut regarder ou écouter. C’est au
choix ! Une palme d’or doit être une bombe gigantesque qui vous prend la tête
et les trippes par la violence de ses options esthétiques. Malheureusement les
films qui se décalent totalement en prenant les chemins de l’expérimental sont
souvent sélectionnés dans la catégorie « Un certain regard ». Tarentino
a eu le courage de donner la palme d’or à « Fahrenheit 9/11 » le
documentaire de Michael Moore. Il n’ya
pas plus film d’auteur qu’un documentaire qui possède un
langage. Le documentaire est un film dont l’acteur principal est
l’auteur-réalisateur. « A propos de Nice » 1930, de Jean Vigo et « Nuit et
Brouillard » 1955 d’Alain Resnais sont des chefs-d’œuvre absolus. Cette
année « Hissein Habré, une trilogie tchadienne », le documentaire de Mahamat Saleh Haroun déjà primé à Cannes,
est projeté hors compétition.
Le festival de Cannes qui est la coupe du monde des films et
le festival des films d’auteur n’est pas une compétition parfaite, loin s’en
faut. Heureusement il ya d’autres créateurs libres qui expérimentent d’autres
possibilités infinies du 7eme art.
Khalifa Touré
Sidimohamedkhalifa72@gmail.com
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