samedi 14 mai 2016

CES ECRIVAINS DE L'0MBRE QUI BROIENT DU NOIR





Les hommes de l’ombre n’ont pas un destin tragique, l’ombre qui les couvre n’a jamais daigné s’évanouir pour laisser leur talent éclater de mille feux,  percer la lumière de ce soleil qui ne brille hélas pas pour tout le monde. Ces chevaliers de la nuit, conquistadores des petites histoires quotidiennes de la vie auraient vendu leurs glorieuses guenilles pour jouer les premiers rôles dans une mort tragique qui ferait même chavirer des cœurs de pierre. Leur morgue effrayante  assortie d’une fierté ascétique servira un jour à peupler les nuits blanches de talentueux biographes qui auront la générosité et le flair d’écrire et révéler ces hommes et femmes qui ont fait l’histoire à partir de l’ombre. 

Cyrano De Bergerac était à coup sûr meilleur comédien, meilleur écrivain, meilleur dramaturge et indiscutablement meilleur philosophe que Molière. On ne le sut que plus tard. Quant à la créativité langagière, Molière n’arrive pas à la cheville d’un Louis Ferdinand Céline du XXème siècle. Mais le français restera toujours « la langue de Molière »selon une formule paresseuse. Ces « hommes de l’ombre » ne sont pas ces morts anonymes dont parle Sophocle avec beaucoup d’amertume : « L’histoire retient toujours les grands hommes. N’être pas parvenu au monde est peut-être le plus grand bienfait ». Mais Sophocle est un tragédien, son regard sur la vie est conflictuel. Lorsque la tragédie arrive, nous sommes à la fin d’un monde.
Il ya des apparitions publiques qui sont honteuses et ridicules par leur fréquence et le vide intellectuel qu’elles provoquent. Alors, les feux de la rampe sont brouillés par un embouteillage humain de farfelus, d’énergumènes, d’artistes sans œuvres, d’écrivains par ouï-dire qui fréquentent les cafés « préfabriqués » pour les pauses littéraires et s’autorisent à créer des maisons d’édition et poussent l’impudence jusqu’à manger dans le râtelier de la littérature en langues africaines, qu’ils chahutaient naguère,  discutant férocement ce « chantier » à des honnêtes africains dont les visages ont été rembrunis sous le soleil ardant du combat pour la rayonnement de nos langues. 

Même la littérature est devenue une affaire d’Entertainment, c’est écœurant ! Le danger ici, est que l’Entertainment littéraire se fait davantage autour de l’auteur au détriment de l’œuvre. Alors, des centaines d’écrivains sont cités à tout vent mais ils ne sont pas lus. Dans ce monde de l’apparence factice, des réputations surfaites qui provoquent le ravissement des yeux énamourés de jeunes, prompts à offrir leur cœur à n’importe quel auteur, pourvu qu’il soit visible et qu’il voyage beaucoup entre Dakar, Paris et New York. Cette légèreté affective, ce manque de densité émotionnelle est même caractéristique de certaines autorités culturelles qui ne tournent leurs yeux que vers une avant-garde littéraire composée pour la plupart par des écrivains qui ne savent pas écrire. Aujourd’hui partout dans le monde, l’Entertainment littéraire, la publicité et le marketing,  se substituent à la qualité intrinsèque des œuvres. Même des écrivains au talent immense comme le japonais Haruki Murakami, se permettent d’annoncer la sortie de livre… à minuit. Histoire de faire mystérieux. Ce n’est pas sérieux. L’Alchimiste de Paulo Coello est vendu à des millions d’exemplaires, mais ce dernier ne figure pas parmi les grands écrivains brésiliens comme Jorge Amado, Alice Lispector et l’immense Guimarães Rosa. C’est la vertu littéraire qui est passée par là et la question a été tranchée. En France on nous rebat les oreilles avec Michel Houellebecq, Marie Darrieussecq  ou  Emmanuel Carrère alors qu’à coté, il ya Yves Bonnefoy l’écrivain-poète-traducteur ? C’est le seul écrivain français fréquemment cité pour le prix Nobel depuis longtemps. Au reste, des monuments comme « Hamlet » et « l’Iliade et l’Odyssée » sont mieux étudiés que les personnes de William Shakespeare et Homère, dont on doute même à tort de l’existence. A l’époque l’œuvre était plus importante que l’auteur. 

Au Sénégal le poète, conteur, dramaturge, romancier et nouvelliste Ibrahima Sall, auteur historique  de « La Génération Spontanée », « Crépuscules invraisemblables » et « Les routiers de Chimère » , est littéralement vénéré par toute une génération de lecteurs minoritaires. Je ne connais aucun écrivain sénégalais qui possède une telle poéticité. Ni Boubacar Boris Diop, ni Ken Bugul, ni Amadou Lamine Sall, qui sont pourtant bons. Il paye aujourd’hui le prix fort d’une forme d’incubation littéraire qui confine à la « folie ». Son dernier roman « Les mauvaises odeurs » aurait pu remporter le Prix des cinq continents, si le travail éditorial n’était pas de mauvaise qualité. Quant à « Antilepse » son dernier recueil de poèmes publié en 2012, il suffit de le parcourir pour être convaincu que ce « bouvier de l’au-delà » reste le grand pâtre assis sur le promontoire et que notre monde culturel est passé à coté de quelque chose de grand en ignorant toujours ce poète qui ne demande rien.
D’autres comme le journaliste Souleymane Ndiaye qui vient de nous quitter font partie des plumes talentueuses qui n’ont pas poussé le mauvais goût jusqu’à publier des livres. Meilleurs écrivains que beaucoup d’écrivains médiatiques, ils ont toujours refusé de se transformer en nègre pour auteurs sans talent, mais suffisamment généreux pour aider des écrivains comme Boubacar Boris Diop, si l’on en croit la propre fille de ce grand journaliste ancien prof de français. La générosité, un métier ingrat ! Mais la pire des choses est d’offrir de bons titres à des écrivains incapables d’en créer. Beaucoup d’auteurs cités à tort et à travers, n’auraient jamais existé sans les beaux titres que des hommes de l’ombre comme Souleymane Ndiaye, leur ont offerts.

Khalifa Touré
Critique/Lettres et Cinéma
776151166

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