vendredi 27 mai 2016

Les quatre commandements du journalisme






 «  La question(…) n’est plus aujourd’hui de savoir comment préserver les libertés de la presse. Elle est de chercher comment, en face de la suppression des libertés, un journaliste peu rester libre. Le problème n’intéresse plus la collectivité. Il concerne l’individu(…) Et justement ce qu’il nous plairait de définir ici, ce sont les conditions et les moyens par lesquels, au sein même de la guerre et de ses servitudes, la liberté peut-être, non seulement préservée, mais encore manifestée. Ces moyens sont au nombre de quatre : LA LUCIDITÉ LE REFUS, L’IRONIE ET L’OBSTINATION. » Albert Camus.

Voilà comment s’exprimait le philosophe franco-algérien Albert Camus, le 25 novembre 1939, dans un article censuré par le gouvernement français, qui devait paraître dans « Le Soir républicain », un quotidien limité à une feuille recto-verso qu’Albert Camus codirige à Alger. Une feuille recto-verso seulement ! Mais il n’ya pas de quoi s’étonner,  dix lignes peuvent faire trembler le monde, si et seulement si les mots sont justes et surtout l’intention qui les sous-tend est sincère.  Voilà l’écriture journaliste, l’écriture de l’information, l’écriture tout court. La sincérité, cette énergie que le monde d’aujourd’hui ignore parce qu’elle est incommensurable, impalpable mais néanmoins indispensable et même vitale à la bonne réception de tous les textes destinés au public. Comme si le monde n’était fait que de techniques, de procédés, tout est pris aujourd’hui dans l’engrenage d’une folle machine du diable. En fin de compte tout est devenu diableries, mystifications et contrefaçons. Alors l’ivraie est confondue à la  bonne graine, il n’est plus possible d’émonder ce riz pourri. Mais faut-il manger de la nourriture infecte lorsqu’on peut avoir mieux ? 

Par son caractère général ce texte d’Albert Camus qui a valeur de manifeste reste valide et actuel pour tout contexte (Il n’ya de science que du général dit-on souvent). Une lecture serrée du texte  peut emmener à s’attarder sur les mots qui font sens et essence de ce manifeste qui a fait date. Le manifeste peut être résumé en ces mots : « Le problème n’intéresse plus la collectivité. Il concerne l’individu. » La liberté n’est donc pas à chercher dans la masse chaotique, c’est une affaire de conscience, or nous savons que les problèmes liés à la conscience sont individuels. La conscience est individuelle. C’est le miroir de notre être dans le monde. La conscience nous empêche de nous défausser sur les autres, trouvant les prétextes les plus infondés pour justifier nos turpitudes. La conscience individuelle est le siège de la lucidité du journaliste.

 La liberté telle qu’elle est posée dans le monde journalistique aujourd’hui est donc  insoluble parce que mal posée. L’on parle de façon véhémente de la liberté de la presse alors que l’on devrait plutôt discuter de la liberté du journaliste, de l’individu-journaliste. C’est le journaliste qui est libre, mais non la presse. La presse devrait être, plutôt indépendante. Mais comme le pense Jean François Revel le philosophe, « la plupart des hommes n’aiment pas la liberté. » Ils ne savent pas quoi en faire ; la liberté est la partie honteuse des paresseux, elle dévoile l’insoutenable incapacité d’agir, de faire et de créer un monde équilibré. Ceci n’est pas le lot des oisifs. La liberté n’est donc pas une donnée immédiate. La liberté est une responsabilité. La responsabilité de faire, d’agir, d’écrire. "Un journal libre se mesure autant à ce qu'il dit qu'à ce qu'il ne dit pas."  écrit Albert Camus. La responsabilité est l’instrument du refus chez le journaliste. Il faut donc une éducation à la liberté, un entrainement à la liberté  par la pratique du contrôle de soi et de la vigilance individuelle et même personnelle. La valorisation des « postures morales » aux fins d’installer une « culture » de la bonne attitude feront à coup sûr du journaliste un individu libre et juste. La corruption des mœurs n’est pas une spécialité journalistique. Un journaliste n’est pas un esclave qui attend la chicotte ou bien même un chien qui court derrière un os méchamment lancé en sa direction histoire de l’humilier. C’est un homme libre par principe. Si par malheur ou par accident cette liberté venait à être en défaut, ce serait par défaillance humaine et faiblesse de l’éducation morale.

 La justification de la présence indispensable du journaliste dans le monde moderne  comme une aspiration de la collectivité est une forme pernicieuse et sibylline d’embrigader la liberté du journaliste. La collectivité dans ses différentes déclinaisons en populace, peuple, communauté sont des menaces pressantes contre la liberté du journaliste. Même la corporation est une menace. Mais les menaces les plus têtues sont la mort et la prison (les cas de Norbert Zongo et Pius Njawé).  La guerre a ses servitudes mais la paix a les siennes aussi. Les servitudes les plus tenaces de la paix sont la précarité, la perte de son travail mais aussi les comptes en banque. Des pesanteurs qui embrouillent l’esprit, et cachent la lucidité par un voile épais.  Alors l’ironie devient l’instrument, le code moral face au destin. L’ironie est l’attitude désinvolte du journaliste. Le journaliste désinvolte qui ne « veut rien »  est alors à l’abri de tout. Finalement cette désinvolture lui vaudra tous ces  lauriers qu’il n’a jamais cherchés. Les plus grands journalistes sont ceux-là qui sont assez fous pour faire « la même chose » pendant un demi-siècle. C’est cela l’obstination, au-delà de l’entêtement à trouver, traiter, divulguer l’information qui va bouleverser les attitudes. Le journaliste a une voie(x), une « tessiture », une signature qui fait son identité, c’est cela l’obstination, quoi qu’en pense la multitude. Les sénégalais Abdoulaye Diaw et  Sada Kane et l’américain Walter Cronkite sont peut-être des exemples en cette matière. Voilà les quatre commandements du journalisme réécrits à notre manière. 

Khalifa Touré
sidimohamedkhalifa72@gmail.com 
776151166



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