« De l’hypothèse, fausse parce que
dérivant du concept indéfinissable du sous-développement, que les petits pays
ne peuvent garantir leur monnaie faute d’une économie suffisamment solide pour
la soutenir, les pays africains ont, de diverses manières et à des degrés
différents, démissionné devant leurs responsabilités en matière monétaire,
c’est-à-dire en définitive économique », Joseph T. Pouémi
L’intellectuel camerounais Joseph Tchundjang Pouémi est certainement la perle noire de la
science économique en Afrique comme son compatriote Thomas N’kono fut « l’araignée noire » de l’Espanyol
de Barcelone dans les années 80. Le pays des
Ruben Um Nyobe, Félix Moumié, Ernest Ouandié, Osendé Ofana héros de l’une
des trois guerres de libération les plus meurtrières en francophonie (
Cameroun, Indochine, Algérie) , a donné naissance à de brillants intellectuels
comme Jean Marc Éla, Martien Towa, Achille Mbembé, des écrivains de talent (
Guillaume Oyono Mbia, Ferdinand Oyono, Mongo Béti, Leonora Miano), des
footballeurs d’exception( William N’jo Léa, Roger Milla, Théophile Abéga, Jean Pierre
Tokoto , Grégoire M’bida « Arantes », Ibrahim
Aoudou, Jean Manga Onguéné, Paul Louis M’fédé, Samuel Eto’o fils), mais surtout
un économiste méconnu, pionnier de la libération monétaire en Afrique, un
météore qui a traversé de façon
fulgurante le ciel assombri des sciences sociales avant de s’éteindre
rapidement, il s’agit de Joseph Tchundjang Pouémi.
Une courte vie, 47ans, menée au service de la science et de
la lutte pour la libération monétaire de l’Afrique. L’histoire du monde est peuplée
de savants de l’ombre, des croisés de la science que seule une démarche
archéologique peut remettre au goût du jour. Joseph T Pouémi est de la lignée
des savants oubliés comme Semmelweis
le médecin. Né le 13 Novembre 1937 à
l’Ouest du Cameroun, il est dans le
domaine de la théorie économique une référence méconnue du grand public. Depuis
quelques années son nom commence à poindre et sa réhabilitation en tant que l’un
des premiers théoriciens de la libération monétaire
de l’Afrique est en cours. Pouémi est l’auteur d’une œuvre considérée
aujourd’hui comme un monument. C’est le fameux « Monnaie, servitude, liberté :
la répression monétaire de l’Afrique »
publié en édition J.A en 1981. Ouvrage
jugé rigoureux malgré le ton polémiste : « Qui gouverne, le
gouvernement ou monsieur le gouverneur ? » s’interroge-t-il narquois,
au chapitre 3. La responsabilité politique est là posée. Avis aux frileux qui
pensent que la sortie du franc CFA est une aventure. Par ignorance que le débat
serait pour eux, une question d’actualité alors qu’en réalité elle est devenue
une revendication historique dans le sillage de la décolonisation tardive de
l’Afrique. Sur toutes les questions vitales on a une peur bleue, on tremble à
l’idée de revenir à nous-mêmes :
sur les langues, l’édition, l’éducation et même le football on préfère un
entraineur étranger.
Mais qu’est-ce que la monnaie ?
Divergence de définition à coup sûr, Joseph Pouémi remonte à Aristote : « C’est
le bien qui est à la fois moyen de paiements, unité de compte et réserve de
valeurs ». Est-ce aussi simple que cela ? Oui et non ! Les
économistes d’aujourd’hui ont la manie de complexifier là où les choses sont
très simples. Piketty a déjà noté ce phénomène qu’il assimile à de
l’escroquerie. A Joseph Pouémi de retenir la définition de l’un de ses
étudiants à Abidjan : La monnaie c’est « une créance à vue sur le
système bancaire ! » Il développe alors une thèse historique à
travers une réflexion originale sur la dépendance monétaire. C’est autour de la
possession et de la dépendance monétaire que s’exerce une sourde répression
aussi dévastatrice mais moins spectaculaire que la dictature politique. Joseph
T. Pouémi distingue L’auto-répression de « la nature répressive du
désordre monétaire mondiale. » Alors
il affirme fort justement « Si curieux que cela puisse paraître, le métier de
banquier, c’est celui qui au départ demande le moins d’argent, précisément
parce qu’il en fabrique ». La monnaie est alors au départ « un bien vide »,
créé par le système bancaire qui se transforme en revenu, en « bien rempli » au
fur et à mesure de la production. Cette dialectique « bien vide » et « bien
rempli » permet à Joseph Pouémi de bâtir une théorie de la dépendance monétaire
de l’Afrique qui fait de lui un pionnier de la création de paradigmes endogènes
de la science sociale en Afrique. Pour
Joseph Pouémi, les techniques auto-répressives comme la monopolisation de la
direction bancaire, le taux d’intérêt négatif, le problème du contrôle des prix
ont empêché le progrès en Afrique. Les africains ont déserté les lieux de la
gouvernance monétaire.
Aujourd’hui de jeunes économistes
comme le Togolais Kako Nubukpo s’inscrivent dans la lignée de Pouémi et prônent
« l’émergence d’un paradigme africain dans les sciences sociales » après avoir
fait un constat alarmant : l’absence des économistes africains dans le
processus de création d’un savoir endogène en Afrique, les choses les plus
sensés sur l’Afrique étant dites par des philosophes, sociologues, historiens
et anthropologues »selon l’économiste togolais. Joseph Tchundjang Pouémi aura été la
sentinelle qui nous a alerté dès les années 70 sur la nécessité de produire une
pensée économique africaine en cette époque où« tout se joue sur l’économétrie et
les modélisations » avec pour conséquences «la plupart de nos thésards sont
incapables d’aligner deux phrases correctement écrites, une réflexion
d’envergure, une volonté de franchir les frontières de la discipline, ce sont
les ouvriers spécialisées d’une pseudoscience », dixit Kako Nubukpo.
Pouémi qui a voulu nous faire éviter
ces carences intellectuelles fut un
visionnaire effrayant : les quatre pages sur la situation du Rwanda écrit
en 1979 sont prophétiques. Il a voulu libérer la matière monétaire des « jargons
délibérément ou inconsciemment confus pour mieux dérouter les esprits, même avisés ». Mais
le 27 Décembre 1984 il disparait brutalement laissant orpheline toute cette
jeunesse qui voyait en lui l’espoir d’une libération morale de l’Afrique. Sa
mort reste mystérieuse, son chef-d’œuvre « Monnaie, servitude et
liberté » est à relire absolument !
Khalifa Touré
Je l’ai dit et espère avoir été entendu sur ce point : Khalifa Touré est une intelligence pure. Votre analyse est d’une pertinence extrême. Avec vous, je découvre d’autres chemins et champs de la connaissance. Un jour, feu le Doyen Amady Aly DIENG m’a interpelé sur les hommes de science des pays comme le Cameroun. Il les aimait bien !!!
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